
Qui va nous nourrir demain ? Comment 225 000 exploitant-e-s agricoles vont-ils nourrir 67 millions de personnes ? Face à cet enjeu arrive une paysannerie savante, consciente d’elle-même, branchée sur les rapports du Giec, qui veut changer le monde agricole contre les tenants de l’extrême industrialisation de l’agro-alimentaire, encore largement dominants. Amélie Poinssot, journaliste à Mediapart, a mené l’enquête en France.
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– (Mediapart/Amélie Poinssot)
Aux racines de la mobilisation agricole, des années d’incohérence politique
L’explosion de colère couvait depuis des semaines. Initié à l’automne par le syndicat des Jeunes agriculteurs, le mouvement « On marche sur la tête », avec le retournement des panneaux d’entrée dans les communes rurales, est parti des retards de paiement de certaines aides européennes de la PAC (Politique agricole commune), et de l’opposition à une hausse des taxes sur les pesticides et la consommation d’eau. Le syndicat a obtenu gain de cause : les subventions ont été versées, et en décembre, le gouvernement a abandonné le projet d’augmentation des prélèvements.
La vague de manifestations outre-Rhin, l’approche des élections européennes, l’offensive du RN et la perspective des élections professionnelles qui auront lieu dans le monde agricole l’an prochain ont cependant remobilisé les rangs syndicaux de la famille majoritaire – FNSEA et JA (55 % aux élections de 2019) – mais aussi, encore plus à droite, de la Coordination rurale (21 %). (...)
Si le Pacte vert européen nourrit aujourd’hui la colère d’une partie du monde agricole, cette feuille de route qui devait se traduire dans la législation nationale a en réalité déjà été vidée de sa substance sous l’effet de la puissance des lobbies agricoles à Bruxelles et de la frilosité de nombreux partis politiques à l’approche des européennes. (...)
Secteur ultra-subventionné, donc, l’agriculture hérite en réalité d’années d’incohérence : d’un côté ont été mises en place des aides pour accompagner la transition agroécologique, de l’autre, la majorité des subventions restent dans un logiciel productiviste où plus on a d’hectares, plus on touche de subsides, et ce, sans aucun engagement de réduire sa consommation de pesticides ni ses émissions de gaz à effet de serre.
Au milieu se tiennent la Macronie et la FNSEA, qui ne veulent surtout pas de contraintes, qui crient au risque de « décroissance » et fustigent l’« écologie punitive », et qui brandissent la souveraineté alimentaire pour s’affranchir de tout engagement sur l’amélioration des pratiques agricoles. À force de s’agripper au statu quo, les voilà qui se font déborder par plus à droite. (...)