
Mediapart s’est penché sur le profil des membres de la commission mixte paritaire, qui se réunit le 30 juin pour discuter du texte visant à « lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur ». Onze sont issus de la profession et quatre ont exercé des mandats importants à la FNSEA.
Quatre sénateurs directement liés à la FNSEA, un ancien ministre de l’agriculture, onze exploitant·es agricoles en exercice ou à la retraite, un ancien directeur de l’agroalimentaire : la composition de la commission mixte paritaire (CMP), qui se réunit lundi 30 juin pour l’acte final de la proposition de loi « Duplomb », donne une part prépondérante aux voix issues du monde agricole et penche du côté des intérêts de l’agro-industrie.
Après le contournement de l’Assemblée nationale le 26 mai, cette nouvelle étape pose question : le texte, qui vise « à lever les contraintes à l’exercice du métier d’agriculteur », contient en réalité d’importants reculs environnementaux et concerne la société tout entière : réintroduction des insecticides tueurs d’abeilles – les néonicotinoïdes –, remise en cause de l’indépendance de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), facilitations pour la construction de fermes-usines et de mégabassines, affaiblissement de la protection des zones humides…
Ce sont pourtant seulement treize député·es et quatorze sénateurs et sénatrices qui vont discuter pendant quelques heures, à huis clos, de ce texte aux multiples dimensions. La CMP est censée représenter le poids des forces politiques des deux chambres, mais seulement quatorze élu·es voteront – les autres ne sont que suppléants – et certains groupes se retrouvent donc encore plus minoritaires qu’au Parlement, voire inexistants. C’est le cas des Écologistes, représentés par un unique poste de suppléant. Le Rassemblement national (RN), à l’inverse, peut compter sur deux voix, et Les Républicains (LR) sur quatre. (...)
Mediapart a passé au crible l’ensemble de ces parlementaires qui vont statuer sur des sujets lourds de conséquences pour la biodiversité et la santé publique. Liens avec le syndicat productiviste, votes passés sur les néonicotinoïdes, propositions de loi soutenues : quels sont les profils les plus problématiques ?
Laurent Duplomb, sénateur (LR) de Haute-Loire, titulaire
C’est la voix la plus virulente au Palais du Luxembourg pour lever un maximum de garde-fous environnementaux. Il est l’auteur, avec Franck Menonville (Union des démocrates et des indépendants, UDI), de la proposition de loi (PPL) examinée en CMP, qu’il a réussi à faire passer avant d’autres textes dans un agenda parlementaire très chargé. Et ce, alors qu’une loi d’orientation agricole a déjà été conclue en février après plus d’une année de processus législatif.
Exploitant agricole, éleveur, ce proche de Laurent Wauquiez fut président des Jeunes Agriculteurs (JA) de Haute-Loire – syndicat frère de la FNSEA –, puis élu du syndicat productiviste et président de la chambre d’agriculture de son département, qu’il a dirigée avec une équipe d’élus de la FNSEA de 2013 à 2017. Jusqu’à cette date, où il entre au Sénat, il est aussi président de la section Massif-Central du groupe Sodiaal, troisième groupe laitier français.
Cette proximité avec la FNSEA ne pose aucun souci à Laurent Duplomb. Dans une émission de « Compléments d’enquête » diffusée l’an dernier, le sénateur assumait complètement avoir déposé, dans le cadre du projet de loi de finances 2024, 13 amendements calqués sur les textes du syndicat. « Quand la FNSEA me propose des amendements qui sont bien rédigés et qui vont dans le sens de mes convictions et de mes attentes, je les défends », disait-il à l’équipe de France TV. (...)
Franck Menonville, sénateur (UDI) de la Meuse, titulaire
Coauteur, avec Laurent Duplomb, de la proposition de loi examinée en CMP, Franck Menonville est une voix plus discrète, mais omniprésente sur les sujets agricoles au Sénat. En octobre 2020, déjà, il avait – tout comme son collègue – fermement soutenu le retour des néonicotinoïdes à l’occasion d’un projet de loi taillé sur mesure pour la filière de la betterave par celui qui était alors ministre de l’agriculture, Julien Denormandie.
Pour le sénateur, permettre l’utilisation de ces insecticides tueurs d’abeilles était « une réponse d’urgence pour sauver notre filière betteravière qui est aujourd’hui en grande difficulté ». Le texte était passé avec succès, avant que la France se fasse retoquer, trois ans plus tard, par la Cour de justice européenne.
À la tête, avec son épouse, de deux exploitations céréalières s’étendant sur 480 hectares, Franck Menonville a occupé un nombre impressionnant de mandats dans le syndicalisme et divers organismes agricoles. (...)
Toujours adhérent à la FNSEA aujourd’hui, Franck Menonville assure à Mediapart : « Bien sûr que j’ai l’objectivité nécessaire. J’ai la distance qu’il faut en tant qu’exploitant agricole, absolument. Mon combat, c’est de redresser la capacité de production de la France, ce n’est pas agricolo-agricole, je m’intéresse aussi à l’énergie et à la relance industrielle. »
L’élu de la Meuse est un sénateur prolifique. Cosignataire d’une PPL visant à détricoter le Nutri-Score, il s’est aussi associé à un texte visant à renforcer le pouvoir préfectoral pour « adapter les normes aux territoires », et à la PPL en faveur de la construction de l’A69, finalement adoptée, malgré le « non » du Conseil d’État. Sans compter les textes de suppression des ZFE et de réduction du ZAN, qu’il a également signés. (...)
Pierre Cuypers, sénateur (LR) de Seine-et-Marne, titulaire
À la tête, avec son épouse, d’une exploitation de grandes cultures de 245 hectares où poussent des betteraves et de la production non alimentaire, Pierre Cuypers est un grand défenseur de la filière des agrocarburants et du colza. (...)
En 2020, Pierre Cuypers - qui n’a pas répondu aux questions de Mediapart - interpellait directement Emmanuel Macron pour obtenir le retour des néonicotinoïdes, en faveur desquels il a voté au Sénat.
Rapporteur de la commission des affaires économiques pour la PPL Duplomb, le sénateur de Seine-et-Marne s’est montré particulièrement favorable à ce texte, dont il est consignataire, lors des débats au Sénat en janvier. Il s’est également associé aux PPL de suppression des ZFE, de construction de l’A69, et de réduction du ZAN.
Daniel Gremillet (LR), sénateur des Vosges, suppléant
Voilà encore un sénateur qui a fait carrière dans les postes syndicaux et para-agricoles. (...)
C’est un défenseur des pesticides de longue date. (...)
Tout récemment, ce sénateur vosgien a porté une proposition de loi sur l’énergie qui a permis de faire voter la suspension de tous les nouveaux projets d’éoliennes et de photovoltaïque. Il est cosignataire de la PPL Duplomb et de textes cités plus haut, sur le ZAN et le Nutri-Score.
Yves Bleunven (Union centriste), sénateur du Morbihan, suppléant
Ce sénateur élu il y a deux ans a été directeur de la filière œufs au sein d’un mastodonte de l’agroalimentaire français : le groupe Glon-Sanders. C’est un grand défenseur de l’industrie de la volaille, favorable aux gros élevages, au nom de la souveraineté alimentaire française. D (...)
Corapporteur pour le Sénat du projet de loi de simplification de la vie économique qui contenait un certain nombre de reculs environnementaux, cosignataire de la PPL Duplomb, Yves Bleunven est également cosignataire des PPL sur l’A69, la suppression des ZFE, et la réduction du ZAN.
Vincent Louault (Horizons), sénateur d’Indre-et-Loire, suppléant
Agriculteur à la tête d’une exploitation de 400 hectares où il cultive des céréales et élève une cinquantaine de vaches limousine, époux d’une directrice de la Safer, Vincent Louault veut lever un maximum de normes qui pèsent, selon lui, sur la profession. Non syndiqué et n’ayant jamais exercé de mandat syndical, il estime avoir toute l’objectivité nécessaire pour légiférer sur les pesticides, bâtiments d’élevage ou autres mégabassines. (...)
C’est lui qui est à l’origine de la PPL de suppression des ZFE, mais aussi d’un autre texte visant à détricoter la protection des zones humides – qu’il pourrait voir satisfaire dans la PPL Duplomb dont il est cosignataire. Vincent Louault est également cosignataire des PPL sur l’A69 et sur le ZAN.
Jean-Luc Fugit (Renaissance), député du Rhône, titulaire
Cet élu macroniste a porté cet hiver une proposition de loi permettant de recourir aux drones pour des traitements phytosanitaires dans certaines vignes et dans les bananeraies – autrement dit la production phare de la Martinique et de la Guadeloupe, région sinistrée par le scandale du chlordécone. Un signal fort : l’épandage aérien de pesticides est interdit depuis des années. Chimiste de formation, Jean-Luc Fugit - qui n’a pas répondu à Mediapart - avait par ailleurs voté en 2020 en faveur du retour des néonicotinoïdes.
Henri Cabanel (Rassemblement démocratique et social européen), sénateur de l’Hérault, suppléant
Henri Cabanel est le partenaire côté Sénat de Jean-Luc Fugit : il était le rapporteur de la proposition de loi réintroduisant l’épandage aérien à certaines conditions. La loi a été promulguée le 23 avril.
Ancien viticulteur, aujourd’hui salarié de l’exploitation de son fils et non syndiqué, ce sénateur s’était toutefois opposé en 2020 quand il avait fallu voter sur le retour des néonicotinoïdes. (...)
« Mon bon sens paysan et ma responsabilité m’ont fait choisir des pratiques de protection de l’environnement et de la santé des citoyens, dit-il à Mediapart. Mais cela ne signifie pas engager des mesures qui fragilisent nos agriculteurs, comme l’interdiction de l’acétamipride [le néonicotinoïde qui pourrait être réintroduit grâce à la PPL – ndlr] pour les noisettes, qui condamnera des producteurs à arrêter car il n’y a pas de traitement alternatif… alors que des noisettes importées seront vendues en France traitées avec ce produit. »
Henri Cabanel a également cosigné la PPL sur la construction de l’A69.
Marc Fesneau (MoDem), député du Loir-et-Cher, titulaire
Ministre de l’agriculture de mai 2022 à septembre 2024, Marc Fesneau n’a cessé de se positionner en faveur des néonicotinoïdes et de la dérogation dont ils ont pu bénéficier à partir de 2020 (...)
Plus récemment, dans les couloirs de l’Assemblée Nationale, il défendait les arguments de la filière de la noisette, qui est celle qui demande aujourd’hui le retour des insecticides tueurs d’abeilles. (...)
Julien Dive (LR), député de l’Aisne, titulaire
Élu dans un département où domine la culture de betteraves, Julien Dive est le rapporteur, côté Assemblée nationale, de la PPL Duplomb. Au cours des débats en commission des affaires économiques, il a défendu sans discontinuer le retour des néonicotinoïdes – en faveur desquels il avait déjà voté en 2020 – ainsi que les autres dimensions du texte.
C’est aussi lui qui a permis le contournement du Palais-Bourbon en déposant, le 26 mai dernier, une motion de rejet sur la proposition de loi, afin d’empêcher le débat avec les député·es et d’envoyer le texte directement en CMP, où la discussion va reprendre à partir de sa version sénatoriale. « Ce n’est pas nous qui court-circuitons le débat ; c’est l’opposition qui fait de l’obstruction parlementaire avec des milliers d’amendements », justifiait-il auprès de Mediapart.