
Alors que la proposition de loi Duplomb doit être examinée à partir d’aujourd’hui (26 mai) à l’Assemblée nationale, Greenpeace France alerte sur un risque de passage en force de cette loi, à travers une motion de rejet qui pourrait être déposée pour accélérer son entérinement sans réel débat. Les député·es doivent s’opposer fermement à cette tactique. Le cas échéant, durant les débats, Greenpeace exhorte les député·es à rejeter sans ambiguïté cette proposition de loi, qui fait l’objet d’une très forte mobilisation citoyenne à son encontre [1].
« Cette proposition de loi est une honte et pourrait devenir l’une des plus rétrogrades pour l’écologie et la santé publique de ces dernières années !, alerte Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture à Greenpeace. Elle prétend lever les contraintes des agriculteurs mais est en réalité un symbole de lutte contre l’écologie. Alors qu’une loi d’orientation agricole a été votée en février dernier après de longs mois de tractations, cette nouvelle proposition, portée par Laurent Duplomb, reprend tout simplement les propositions clés de la FNSEA. Et pour couronner le tout, un coup de force politique pourrait aujourd’hui accélérer la validation de cette loi, en contournant l’Assemblée nationale et en mettant sous le tapis la contestation citoyenne contre ce texte [2] ! Nous rappelons que ce n’est pas l’écologie qui étrangle l’agriculture : ce sont les décennies de choix politiques qui l’ont enfermée dans un modèle productiviste épuisé et destructeur, au profit d’une minorité d’exploitants agricoles privilégiés. »
En plus de la réintroduction des néonicotinoïdes et de la remise en question de l’Office français de la biodiversité ou plus récemment de l’agence Bio, Greenpeace dénonce une vision dangereuse de l’agriculture sur deux articles en particulier.
Article 3 : feu vert à l’élevage industriel
L’article 3 vise à faciliter l’implantation et l’agrandissement des élevages industriels, relevant des installations classées pour la protection de l’environnement (ICPE) soumises à autorisation [3]. Les ICPE peuvent, par définition, « créer des risques pour les tiers et/ou des pollutions ou nuisances vis-à-vis de l’environnement ». Cet article accélèrera l’industrialisation de l’élevage alors que ce système a déjà un lourd impact environnemental : il contribue à la pollution des sols et des eaux, menace la biodiversité et aggrave la chute des petites et moyennes exploitations [4. Si cette loi était votée, les seuils pour soumettre obligatoirement un élevage à une procédure d’autorisation augmenterait considérablement et passeraient :
- pour les volailles : de 40 000 à 85 000 emplacements – soit plus du double !
- pour les porcs de production : de 2 000 à 3 000 emplacements, soit 50% de plus !
- pour les élevages bovins : les seuils pourraient être rehaussés par décret ou, pire encore, ces élevages pourraient être potentiellement exonérés de ces procédures environnementales.
Alors que la proposition de loi prétend aider les éleveurs, une telle mesure ne « bénéficierait » qu’à une extrême minorité d’entre eux (moins de 2 % des exploitations sont aujourd’hui soumises à autorisation et moins de 8 % à enregistrement), et généralement aux plus grandes exploitations déjà les mieux loties économiquement.
Dans sa cartographie publiée en mai 2023, Greenpeace dénombrait plus de 3000 ICPE soumises à autorisation sur tout le territoire français [5]. 70 % d’entre elles sont situées en Bretagne et Pays de la Loire. De récentes analyses bactériologiques ont d’ailleurs révélé une contamination préoccupante de l’eau de baignade dans le Finistère par des bactéries pathogènes, probablement issues de la pollution fécale des élevages industriels environnants, qui doivent être encadrés en conséquence [6].
Par ailleurs, le texte risque de restreindre la consultation publique lors des procédures d’autorisation, bafouant le droit à l’information des citoyens et citoyennes et la démocratie environnementale.
Article 5 : l’eau confisquée par l’agro-industrie
L’article 5 propose de « faciliter la conciliation entre les besoins en eau des activités agricoles et la nécessaire protection de la ressource ». En facilitant le stockage de l’eau destinée aux mégabassines, cette proposition de loi ignore les besoins écologiques des zones humides et des cours d’eau. Ce type de priorisation des usages de l’eau favorise des pratiques agricoles intensives et met en péril les ressources en eau à long terme, au détriment des écosystèmes et des usages collectifs.
Greenpeace rappelle que les mégabassines servent essentiellement à alimenter des productions très gourmandes en eau comme le maïs, majoritairement destiné à l’élevage industriel et à l’exportation. Elles servent avant tout les intérêts d’une minorité d’acteurs agro-industriels qui persistent dans le maintien d’un système agricole intensif, au détriment de l’intérêt général et de solutions locales et paysannes [7]. À l’inverse de cette fuite en avant, les tensions sur les ressources en eau qui s’amplifient avec le réchauffement climatique impliquent un moratoire immédiat sur les mégabassines, demandé par de nombreuses associations dont Greenpeace.
« Greenpeace exhorte les député·es à faire preuve de responsabilité et de courage, et à s’opposer aux méthodes qui visent à contourner l’Assemblée nationale, tout en se mobilisant fermement contre ce texte rétrograde, poursuit Sandy Olivar Calvo. De nombreux député·es se questionnent d’ailleurs à l’idée de devoir voter en faveur de ce texte, à juste titre : nous les appelons à ne pas faillir face aux intimidations et aux violences des dirigeants de la FNSEA. Les revendications des citoyen·nes, tout aussi fortes et légitimes, doivent également être entendues : plus de 130 000 interpellations ont été envoyées aux parlementaires pour les appeler à s’opposer à cette loi. »
Lire aussi :
– (Mediapart)
Néonicotinoïdes : le débat empêché à l’Assemblée
L’Assemblée nationale a voté lundi 26 mai une motion de rejet sur le texte visant à réintroduire des insecticides tueurs d’abeilles et à lever d’autres garde-fous environnementaux. Pour en réalité contourner le débat parlementaire et mieux pouvoir le faire appliquer.
C’est un événement sans précédent dans l’hémicycle. Lundi 26 mai en fin d’après-midi, l’Assemblée nationale a voté une motion de rejet déposée par le rapporteur du texte lui-même, Julien Dive, député Les Républicains (LR) de l’Aisne.
Non pas pour s’opposer à l’ensemble de la proposition de loi. Tout au contraire : pour la faire aboutir au plus tôt et avec le moins de modifications possible. Et ouvrir donc la voie à la réintroduction des néonicotinoïdes, ces insecticides dévastateurs interdits depuis 2018 – disposition clé de ce texte hautement controversé.
Une telle procédure permet de contourner tout simplement le débat au Palais-Bourbon : le texte ainsi rejeté est renvoyé directement en commission mixte paritaire (CMP), la dernière étape du processus législatif où ne siègent plus que quatorze parlementaires, à huis clos, sur la base du texte voté en janvier au Sénat.
« À quoi sert le Parlement dans ce pays ?, s’est interrogée, auprès de Mediapart, la présidente de la commission des affaires économiques Aurélie Trouvé (La France insoumise, LFI). C’est un coup de force antidémocratique et c’est la remise en cause du principe de précaution. » Benoît Biteau (Les Écologistes), arborant un badge « La nature en deuil » sur sa veste, n’en revenait pas : « On assiste à un détournement des outils démocratiques de l’Assemblée nationale. » (...)
Contournement
La ministre de l’agriculture, Annie Genevard – la première à parler selon le protocole –, a apporté un soutien entier à la proposition de loi et a défendu la motion de rejet avant même qu’elle ne soit présentée. Dans un renversement complet de perspective, elle a accusé la gauche de trahir la démocratie parlementaire, mettant en cause les 3 500 amendements déposés, « dont 70 % par les Verts et LFI » et des « propositions ubuesques ». « La colère des champs mérite mieux que des manœuvres de couloir », a conclu celle qui porte la voix du gouvernement, justifiant le recours à la motion de rejet « pour que cette proposition de loi puisse finalement faire l’objet d’un vote ».
Dans l’histoire de la Ve République, seul le Sénat s’est déjà saisi de cette possibilité de contourner l’une des deux chambres par la voie d’une motion de rejet d’un texte déposée par ses propres défenseurs. Cela s’était produit en décembre 1995, autour du projet de réforme de la Sécurité sociale, dans un contexte de fortes mobilisations.
C’est une nouvelle forme de 49-3, a dénoncé Mathilde Panot pour LFI, dont les élu·es ont brandi des pancartes rendant hommage aux victimes de pesticides. Le 49-3 n’est autre que ce que voulait la droite la plus dure du monde agricole, le syndicat de la Coordination rurale. Cette dernière demandait en fin de semaine au gouvernement « d’engager la responsabilité de celui-ci sur ce texte, conformément à l’article 49–3 de notre Constitution, dans une version satisfaisante sur le plan de la gestion de l’eau et de l’emploi des néonicotinoïdes ».
La FNSEA n’est pas en reste sur le sujet : elle communique en tous sens sur le texte depuis des mois et a occupé le terrain toute la journée devant le palais Bourbon, avec la présence symbolique de quelques tracteurs. (...)
L’Assemblée nationale a voté lundi 26 mai une motion de rejet sur le texte visant à réintroduire des insecticides tueurs d’abeilles et à lever d’autres garde-fous environnementaux. Pour en réalité contourner le débat parlementaire et mieux pouvoir le faire appliquer. (...)
Dissensions
Si sauter l’étape du Palais-Bourbon prive la société d’une discussion publique sur des sujets environnementaux de premier plan, c’est aussi une manière d’éviter le débat avec les élu·es macronistes. Car le camp présidentiel n’est pas du tout unanime sur le sujet. (...)
Le texte sera désormais étudié à partir de la version sénatoriale, dans une CMP qui devrait se tenir mi-juin. Quatorze parlementaires issus pour moitié du Sénat, pour l’autre moitié de l’Assemblée, siègent dans cette commission. On y compte au total six représentant·es de la droite, deux du RN, un·e d’EPR, un·e du centre, trois du Parti socialiste (PS), un·e de LFI. Au regard des forces politiques en présence, il est peu probable que la commission atténue les reculs écologiques que contient la proposition de loi.
– (France24)
"Les tracteurs rentrent à la ferme" : les agriculteurs suspendent leur mobilisation
(...) La FNSEA "suspend" sa mobilisation, a annoncé, mercredi 27 mai, le président du premier syndicat agricole, au lendemain du renvoi tactique de la proposition de loi, dite Duplomb, une opération qui satisfait cette organisation.
"On suspend la mobilisation" car "notre objectif (...) était d’attirer l’attention des pouvoirs publics et notamment des députés, sur la forte attente du monde agricole", a déclaré sur BFM/RMC Arnaud Rousseau, dirigeant de la FNSEA.
L’organisation syndicale avait d’ores et déjà rappelé, lundi, dans la soirée les quelques tracteurs parqués devant l’Assemblée nationale.
"À partir du moment où le texte continue sa vie", puisqu’il va aller maintenant en commission mixte paritaire, "et ne fera pas l’objet d’obstruction (...), il n’y a pas de raison de continuer à être sur le terrain", a ajouté son dirigeant.