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Orient XXI
« Quand on se noie, on s’accroche à une brindille. »
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza
Article mis en ligne le 6 janvier 2025
dernière modification le 4 janvier 2025

Rami Abou Jamous écrit son journal pour Orient XXI. Ce fondateur de GazaPress, un bureau qui fournissait aide et traduction aux journalistes occidentaux, a dû quitter en octobre 2023 son appartement de la ville de Gaza avec sa femme Sabah, les enfants de celle-ci, et leur fils Walid, deux ans et demi, sous la pression de l’armée israélienne. Réfugié depuis à Rafah, Rami et les siens ont dû reprendre la route de leur exil interne, coincés comme tant de familles dans cette enclave miséreuse et surpeuplée. Il a reçu, pour ce journal de bord, deux récompenses au Prix Bayeux pour les correspondants de guerre, dans la catégorie presse écrite et prix Ouest-France. Cet espace lui est dédié depuis le 28 février 2024.

(...) Si l’agression israélienne prend fin, le monde prendra alors vraiment conscience de l’ampleur des massacres et des destructions perpétrés par l’armée d’occupation. Nous, les journalistes de Gaza, nous rendons compte au jour le jour des souffrances des habitants de Gaza, des civils, des gens ordinaires qui ont vu leurs enfants déchiquetés par les bombes, leurs parents ensevelis sous les décombres de leur maison, la perte de tous leurs biens. Ces images ont révolté nombre de gens en Occident, qui ont manifesté pour Gaza. Mais elles n’ont pas touché la plupart des gouvernements ni les soutiens d’Israël, qui continuent de répéter le même slogan : « Israël a le droit de se défendre ».

Après cette guerre, si des journalistes étrangers entrent dans la bande de Gaza, ils verront de leurs yeux ce qui s’est passé. Même les images épouvantables que nous arrivons à faire sortir de Gaza ne donnent pas une idée de la catastrophe que nous sommes en train de vivre, de ce que nous avons vécu, de la dimension des tueries. Ni de l’éventail des techniques de mort déployées contre nous par Israël. Après la guerre, on verra comment les Israéliens ont testé contre nous tout l’arsenal possible. (...)

Nous servons de cobayes pour ces armes qui seront présentées dans les salons d’armement comme « testées sur le terrain ».

Tout ce que nous sommes en train de documenter — les quadricoptères, ces petits robots tueurs volants, les bombes de centaines de tonnes —, tout ce que nous décrivons depuis quatorze mois, vous allez le redécouvrir.

Je crois que les gens qui défendent Israël, ceux qui détournent le regard, qui refusent les termes de génocide et de nettoyage ethnique, qui parlent sans savoir, sont en train de perdre leur humanité. Ces gens-là vont le regretter, je l’espère, quand ils se rendront compte de ce que nous subissons. J’espère qu’ils comprendront qu’Israël a changé les normes de la réalité, même chez nous, dans notre population. Malheureusement, quand il y a un massacre dans une école, même des Palestiniens cherchent des excuses au bombardement : « est-ce qu’il y avait un homme du Hamas dans l’école ? » Quand une famille entière est écrasée sous les décombres de sa maison, il se trouve des Gazaouis pour dire : « il devait y avoir un type du Hamas dans cette maison. Mais pourquoi est-il allé voir sa famille ? » Et quand les gens disent « un type du Hamas », cela veut dire aussi bien un membre de la branche militaire que de la branche politique, ou même un partisan du mouvement. Les Israéliens suivent l’homme qu’ils ciblent avec des drones, par les téléphones portables, par tous les moyens d’une technologie surpuissante (...)

C’est une punition collective justifiée par l’ex-ministre de la défense Yoav Gallant — aujourd’hui inculpé de crimes contre l’humanité par la Cour pénale internationale —, quand il nous avait traités « d’animaux humains ». (...)

« Ces horreurs seront révélées par les Israéliens eux-mêmes »

Mais il y a bien pire. Vous découvrirez les exécutions sommaires. Les morts de faim. Et les viols. Dans notre société, on n’en parle pas parce que c’est quelque chose de honteux. Mais ils ont bien été commis par l’armée « la plus morale du monde » qui est en réalité la plus immorale du monde, la plus dangereuse, la plus violente, la plus impitoyable, la plus inhumaine du monde. Elle se sent autorisée au massacre par une fatwa de Nétanyahou, dans laquelle il nous a désignés comme « Amalek », c’est-à-dire les Amalécites, une tribu ennemie des Hébreux vouée à l’anéantissement, selon la Bible.

Et vous verrez que ces horreurs seront révélées par les Israéliens eux-mêmes. (...)

Nombre d’entre eux auront du mal à vivre avec le fardeau de ces monstruosités. On peut sans doute s’attendre à des suicides, comme cela se produit souvent dans de pareilles circonstances. Ces soldats savent ce que leur armée, aux ordres d’un gouvernement d’extrême droite, est en train de faire : un nettoyage ethnique dans le vrai sens du mot, un génocide. Ou, comme je l’ai déjà dit, un « gazacide », ce mot que j’ai inventé pour tenter de traduire l’aspect inédit des tueries et des destructions que nous sommes en train de vivre : un génocide « spécial Gaza », réservé aux Palestiniens de Gaza. Et les soutiens de l’agression israélienne auront peut-être honte quand ils entendront les récits des pires actes commis par cette armée. Et quand ils comprendront que Nétanyahou a sacrifié les prisonniers israéliens, qu’il n’avait aucune intention de libérer.

J’espère que tous ceux qui défendent systématiquement Israël retrouveront leur humanité, et qu’ils sortiront du déni. Je ne leur demande pas de « condamner », ce n’est qu’un mot, et il faut des actes : arrêter la guerre, juger les chefs militaires et les politiciens qui leur ont ordonné de tout détruire, et de tuer le plus possible, pour qu’à la fin les habitants quittent en masse la bande de Gaza, ce qui sera présenté par les Israéliens comme des « départs volontaires ». On te tue, on te déplace sans cesse, on fait de ta vie un enfer, et puis on te dit « si tu veux partir, tu peux. Ce sera ta décision ». En niant une fois de plus la réalité, les Israéliens voudront ainsi éviter au monde la honte d’avoir vu un génocide en direct, 24 h sur 24, 7 jours sur 7. Et personne n’a bougé. De toute façon, la vraie solution reste la même : un État palestinien, qui vivra en paix avec Israël.