
Ce livre est un objet non identifié. Un récit poétique et politique, ancré dans une campagne défigurée par l’agro-industrie. Avec « Péquenaude », Juliette Rousseau compose autour d’une ruralité autant aimée qu’amochée.
D’abord, il y a les odeurs. « Une haleine de stabule », « l’odeur enivrante et profondément familière, rassurante, de la paille qui sèche », « les effluves » des élevages de cochons, « l’odeur des feuilles séchées, celle des feuilles accumulées sur la terre ».
Puis il y a les mains. Toutes ces choses qui appellent le corps à s’activer. Les bûches et le feu dans la cheminée. Les tâches dans le jardin. Les tomates et les confitures. Dans Péquenaude, sorti en cette rentrée littéraire aux éditions Cambourakis, Juliette Rousseau fait apparaître le monde sensible qu’elle habite, loin de l’univers urbain. Un récit poétique original, écrit en prose, ancré dans le bout de campagne d’Ille-et-Vilaine où elle a grandi et où elle est revenue vivre après des années passées à Paris. (...)
Ce monde rural a été dépossédé de tant de choses : paysannerie écrasée, langues régionales effacées, hommes transformés en chair à canon, lignes de train supprimées, services publics aujourd’hui en déclin… D’ailleurs, comme tant d’autres, adolescente, la jeune femme ne rêvait que d’une chose : partir.
Au cœur de l’appartenance à cette histoire collective, cependant, se niche une grande fierté. Et toute l’ambiguïté de ce rapport aux origines rurales, cette « dualité honte-fierté qui nous caractérise quand la terre nous colle encore à la peau ». (...)
Il y a, entre les lignes de Péquenaude, la volonté de se réapproprier un discours sur les campagnes, de ne pas laisser ce récit à l’extrême droite, d’en finir avec l’image de terres conservatrices. Ces territoires sont en réalité traversés par une grande diversité, des inégalités sociales, des luttes, des rapports de pouvoir. La démarche de Juliette Rousseau, qui fut longtemps active dans la sphère altermondialiste et le mouvement climat, est politique. Elle veut renouer avec ce que nous avons perdu : « Et ce n’est pas seulement le paysage en lui-même qui a changé, c’est que nous avons collectivement perdu notre lien à lui, notre capacité à le façonner, le maintenir, à y subsister et s’en satisfaire. » (...)
Ce monde est toujours là, « dans la langue et ce qu’il reste de dénominations vernaculaires, dans l’accent charnu et entêté » – pour reprendre les mots de Juliette Rousseau – et il s’agit maintenant de le préserver.