Le camp présidentiel a voté une motion de rejet contre son propre texte visant à reporter les élections en Nouvelle-Calédonie, afin de mieux le réécrire en commission mixte paritaire. L’empressement du pouvoir à mettre en œuvre le projet d’accord de Bougival malgré le rejet du FLNKS se confirme.
« Obstruction », « obstruction », « obstruction ». Mercredi 22 octobre, les député·es du camp présidentiel, de la droite et de l’extrême droite n’avaient que ce mot à la bouche dans l’hémicycle de l’Assemblée nationale. En cause, les 1 701 amendements déposés aux trois articles d’une proposition de loi (PPL) organique visant à reporter les élections provinciales en Nouvelle-Calédonie. Plus de 1 600 d’entre eux l’ont été par La France insoumise (LFI).
Celle-ci revendique, dans un communiqué, un « barrage parlementaire » pour éviter un passage en force du projet d’accord de Bougival (Yvelines), adopté le 12 juillet et rejeté quelques semaines plus tard par le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS). Sébastien Lecornu a fait précocement de ce dossier une priorité. Dans sa déclaration de politique générale, le 14 octobre, il visait une adoption du texte « avant la fin de l’année, afin que les Calédoniens puissent être consultés au printemps 2026 ».
Le report au 28 juin 2026 au plus tard des élections provinciales, scrutin dont découle l’essentiel des rapports de force politiques locaux, alors qu’elles devaient se tenir d’ici le 30 novembre 2025, était justement dans le projet d’accord. Il permettrait d’élargir le corps électoral à 12 000 personnes nées sur le territoire et jusqu’ici privées de vote, ainsi qu’aux électeurs et électrices justifiant de quinze années de résidence. (...)
Un point crucial pour le camp loyaliste, en perte de dynamique, qui espère ainsi bénéficier de nouveaux suffrages et se maintenir aux affaires. C’est l’une des raisons de l’opposition du FLNKS, qui souhaite que les élections aient lieu à la date prévue. « Il faut tenir les élections, il n’y a plus d’état d’urgence, les routes sont ouvertes », a plaidé le député indépendantiste Emmanuel Tjibaou, lors des questions au gouvernement. En vain.
La PPL a fait l’objet d’une manœuvre parlementaire insolite mais pas nouvelle. Une motion de rejet préalable du camp présidentiel, afin de faire tomber les amendements de LFI et de contourner le débat parlementaire, a été adoptée. Elle permettra à la loi d’être réécrite à l’identique en commission mixte paritaire (CMP) – composée de quatorze parlementaires censés se mettre d’accord pour valider le texte final. 257 député·es ont voté pour, 105 contre : les membres des groupes communistes, écologistes et insoumis, ainsi que trois députés socialistes et quatre député·es du groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires (Liot).
Tirs de barrage contre « l’obstruction »
Pendant l’examen de la PPL, le groupe LFI a fait l’objet d’un tir de barrage groupé en raison de ses nombreux amendements. (...)
Joint par Mediapart avant le débat à l’Assemblée, le député LFI Bastien Lachaud assumait cette stratégie en invoquant le précédent de la loi Duplomb, envoyée de manière inédite par la coalition présidentielle en CMP afin de s’éviter le blocage de l’opposition au Palais-Bourbon. Le rapporteur du texte avait alors déposé une motion de rejet sur son propre texte.
C’est exactement ce qui s’est produit à nouveau mercredi 22 octobre. (...)
« Le socle commun est prêt à vider sa propre PPL de son contenu pour la réécrire en CMP. Ils confisquent le débat parlementaire pour le confier à quatorze personnes. On est dans un dévoiement total des outils législatifs », dénonce aussi la députée écologiste Sabrina Sebaihi. (...)
« Alerte, alerte, alerte », dit donc Bastien Lachaud à Mediapart, comme en écho aux déclarations répétées des macronistes et de l’extrême droite sur l’obstruction. « Si la loi constitutionnelle passe en force, on peut craindre la même chose qu’en 2024 », poursuit-il, pensant aux révoltes qui ont secoué l’archipel. « C’est très dangereux. On ne peut pas faire sans le FLNKS : c’est un territoire à décoloniser, on ne peut pas faire comme si ça n’existait pas », abonde Sabrina Sebaihi.