
Chère Marianne,
J’espère que tu vas bien, ainsi que tes collègues du Collectif des associations citoyennes (CAC), et que vous tenez bon vous aussi !
Te rappelles-tu qu’en juillet 2024 – peu après l’annonce par votre Président de la dissolution de l’Assemblée nationale et l’annonce d’élections anticipées – tu avais imaginé une issue de secours au scénario catastrophe de l’arrivée au gouvernement français d’un parti d’extrême droite : trouver refuge en Belgique avec ton association ? Cette idée m’avait frappée à l’époque. Après le droit d’asile politique pour les citoyens, le droit d’asile politique pour les associations, avais-je pensé.
Te souviens-tu de ma réponse ? Je te partageais ma consternation et mon inquiétude pour la démocratie en France et plus largement en Europe et dans le monde. Je t’informais aussi de la tenue récente d’élections en Belgique et en Wallonie. Je te rendais compte des résultats de ces élections : même si les résultats de l’extrême droite sont inégaux selon les régions, ces élections ont clairement été marquées par une droitisation de l’électorat et la période qui a suivi par une extrême-droitisation de l’offre politique. Je te partageais aussi nos incertitudes sur le sort qui allait être réservé aux associations par nos prochains gouvernements. J’en appelais enfin à une plus grande solidarité entre nous qui, de part et d’autre de la frontière entre nos pays, défendons la contribution des associations à l’intérêt général et à la construction d’une société réellement démocratique.
Bien sûr la Belgique est connue pour la densité de son tissu associatif et pour l’importance des « corps intermédiaires » dans sa démocratie. (...)
Peu avant ton mail, je m’étais fait une joie de contribuer à l’une des rencontres de votre université des savoirs associatifs en intervenant sur le thème de l’éducation permanente[1]. Je me souviens des regards ébahis des membres de l’assistance française face à cet OVNI que peut constituer l’éducation permanente dans le contexte actuel des relations entre Etat et associations. Cette soirée à Paris et ses suites m’avaient fait prendre pleinement conscience du statut exceptionnel de ce dispositif, résultat d’une véritable co-construction entre les corps intermédiaires et l’Etat dans les années 70. L’éducation permanente est en effet une manière pour les pouvoirs publics de créer un environnement favorable à l’émergence d’interpellations citoyennes qui les critiquent, les challengent, les stimulent, prennent des initiatives et formulent des demandes collectives.
Je regrette de t’informer que, depuis lors, les risques entrevus au lendemain des élections du 9 juin 2024 se sont réalisés. Les associations subissent dans notre pays des attaques de plus en plus nombreuses et de plusieurs natures. Faudra-t-il que, à l’instar de ce que vous avez contribué à faire, nous nous dotions nous aussi d’un observatoire des libertés associatives[2] ? (...)
A l’instar de la France, notre pays est lui aussi de plus en plus polarisé. Je te passe les détails mais à la suite d’une manifestation émaillée de violence, les annonces faites dans la presse par certaines autorités consistent à proposer la dissolution d’associations antifascistes par décision gouvernementale, sans intervention judiciaire. La Belgique ne dispose pas d’un cadre légal permettant un tel acte mais avance dans cette direction, déjà appliquée en France avec les dangers avérés pour les droits fondamentaux que sont la liberté d’expression et le droit de manifester. (...)
Tu auras compris que, dans ce contexte, l’heure n’est plus à trouver refuge chez les uns ou les autres au gré des résultats électoraux, mais à lutter ensemble, localement et internationalement, pour un associationnisme du XXIe siècle[4], c’est-à-dire notamment un rôle politique pour les associations et les autres acteurs de l’économie sociale et solidaire[5]. (...)