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“Notre monde a fabriqué une boîte à outils pour les pédocriminels” : l’enquête indispensable de Laetitia Ohnona, sur Arte
#pedocriminalite #internet #cyberpédocriminalité
Article mis en ligne le 25 mai 2024
dernière modification le 22 mai 2024

Dans l’édifiant “Pédocriminels, la traque”, la documentariste se confronte au fléau de la pédocriminalité en ligne. Elle dénonce, entre autres, le caractère systémique du phénomène. Et le déni intenable qui l’entoure.

C’est un film qui exhorte à ne plus détourner les yeux d’un phénomène de masse, complexe et dérangeant. Spécialiste des violences sexuelles, la documentariste Laetitia Ohnona a enquêté dans huit pays afin de cerner l’effroyable réalité de la pédocriminalité sur Internet, examiner les moyens déployés pour la combattre et donner un écho à l’histoire des innombrables victimes. Éprouvant, Pédocriminels, la traque, diffusé sur Arte, brise un silence intenable, et renvoie individus et institutions à leurs responsabilités. La réalisatrice revient sur les enjeux de ce film engagé, à voir et à montrer d’urgence. (...)

j’ai assisté à un colloque sur la cyberpédocriminalité qui m’a permis de rencontrer Véronique Béchu, la cheffe du pôle stratégique de l’Office mineurs (Ofmin) du ministère de l’Intérieur. Elle a diffusé une carte des téléchargements en temps réel de contenus pédocriminels en France. Voir cette multitude de points rouges apparaître sur l’écran m’a laissée sans voix. Je pressentais l’ampleur du phénomène, mais c’est alors devenu criant d’urgence.

Vous suivez le travail des services de police spécialisés en France et aux États-Unis, quel a été leur accueil ?
Obtenir des autorisations n’a pas été simple. À chaque fois, j’ai été passée sur le gril. Mais tous ont finalement exprimé leur gratitude : enfin quelqu’un s’intéressait au sujet. Ces policiers affrontent au quotidien une réalité que peu de gens sont prêts à regarder en face. J’ai moi-même fait cette expérience avec mon entourage : au bout d’un moment, je sentais que je fatiguais mes interlocuteurs, ils ne voulaient plus m’écouter, comme s’ils me disaient : « Stop, c’est trop ce que tu nous racontes. »
Ce déni correspond à celui qui subsiste sur l’inceste.

Sur la pédocriminalité en ligne, le rejet est d’autant plus fort qu’elle nous oblige à nous poser la question de notre rapport à Internet et de ce que nous laissons nos enfants y faire. Notre monde a fabriqué un terrain de chasse et une boîte à outils d’excellence pour les pédocriminels, qui ne se contentent plus de violer, mais qui s’organisent, partagent leur matériel.

(...)

Vous y soulignez l’immense responsabilité des multinationales du Web…
Dans ce combat, le frein n’est pas technologique. Il est politique et financier. Il existe des algorithmes capables de détecter et de bloquer les images pédocriminelles. Ces entreprises ne sont pas passives : Google a désactivé 630 000 comptes d’utilisateurs en 2022. Google et Meta sont à l’origine de 95 % des signalements envoyés au NCMEC [National Center for Missing & Exploited Children, organisation américaine au cœur du système d’alerte international, ndlr]. Mais ils pourraient faire mieux, comme stopper ces contenus avant même leur publication. La Commission européenne veut désormais obliger les entreprises du numérique à scanner les communications chiffrées pour y détecter les contenus pédocriminels, mais elle se heurte aux défenseurs de la vie privée. Si, en avril 2026, ce règlement n’est pas voté, on deviendra aveugle : des milliers d’enfants victimes passeront sous les radars.

(...)

Face à la menace terroriste, la nécessité de la surveillance fait consensus, mais quand il s’agit de la protection des enfants, ça résiste. On en revient à la question du déni…

voir le documentaire : Pédocriminels, la traque (92 min, Disponible jusqu’au 26/08/2024)