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Basta !
MeToo de la marine marchande : « Des affaires Genavir, il y en a plein d’autres »
#MarineMarchande #agressionsSexuelles #femmes #MeToo
Article mis en ligne le 10 novembre 2025
dernière modification le 6 novembre 2025

Des victimes coincées sur l’eau avec leurs agresseurs, des commandants qui harcèlent, des images pornos aux murs : dans le sillage de l’affaire Genavir, dix femmes témoignent de l’étendue des violences sexistes et sexuelles dans la marine marchande.

Les « regards insistants », « transperçants » d’un commandant qui rejoint ses subalternes à pas de loup pendant leur quart ; une main posée sans consentement sur le haut d’une cuisse ou sur une fesse ; des femmes marins filmées à leur insu ; la peur ; et des carrières stoppées net.

Ce procès avait été annoncé comme le #MeToo de la marine marchande. Il n’en a rien été. Le jugement de l’« affaire Genavir », du nom de l’opérateur principal de la flotte océanographique française, filiale de l’Ifremer, l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer, a été rendu le 19 juin par le tribunal de Brest : relaxe quasi générale, à contresens des réquisitions de la procureure.

Christophe M., commandant de bord de la société Genavir, était poursuivi pour harcèlement sexuel et harcèlement moral. Il a été blanchi. De même que l’ancien dirigeant de la société Genavir et la société elle-même, sur le banc des prévenus en qualité de personne morale. Seul condamné, le chef mécanicien Philippe T.. L’homme a écopé de deux ans d’emprisonnement avec sursis et 3000 euros d’amende. Il avait reconnu deux agressions sexuelles ainsi qu’une tentative d’agression sur deux femmes de l’équipage.

D’autres bateaux, d’autres compagnies

La voix rauque et assurée, Magali* lâche : « Le rendu de ce procès, c’est un blanc-seing pour la perpétuation du sexisme et des agressions sur les bateaux de la marine marchande. » Magali est matelot. Elle s’est reconvertie sur le tard, attirée par « la liberté et la vie d’équipage ». Elle a accueilli la décision du tribunal avec colère. Car, pour Magali, les récits déroulés dans la salle d’audience n’ont rien d’inconnu.

Les faits décrits lui en rappellent d’autres, qui se sont produits sur d’autres bateaux, d’autres compagnies, impliquant d’autres commandants, d’autres collègues. (...)

« Je ne connais pas une femme dans la marine marchande qui n’ait pas subi de violences sexistes ou sexuelles. » Et d’ajouter : « C’est un système, des Genavir, il y en a plein d’autres. »

Basta ! a recueilli la parole de dix femmes marins, qui témoignent de l’étendue des violences sexistes et sexuelles (VSS) à bord des bateaux de la marine marchande.

35,5 % des femmes marins victimes d’agression sexuelle (...) (...)

À entendre Louise Chopinet, également marin et cofondatrice d’Arimer, une association qui soutient les marins victimes de discriminations et de violences, le cas d’Élise n’est pas isolé, souligne-t-elle : « Il y a peu d’informations sur le sujet des violences sexistes et sexuelles, pas de protocole établi. Bien sûr, certaines choses sont mises en place, comme les référents harcèlement, mais il y a aussi pas mal de simulacres de respect des procédures : elles sont respectées sur le papier mais, dans les faits, elles sont souvent complètement incohérentes. Le sujet n’est pas compris. Ce n’est pas qu’une question de procédure, mais de culture. »

« Un entre-soi hyper viril » (...)

Quand elle est répétée, l’exposition non sollicitée à des images pornographiques ou à des propos à caractère sexuel (ici particulièrement violents) répond à une logique de harcèlement sexuel environnemental : les femmes marins ont beau ne pas être directement visées par leurs collègues, ces agissements dégradent leurs conditions de travail et entament la confiance qu’elles placent dans leur équipe et leur hiérarchie.

Des formations inopérantes (...)

« Lanceuses d’alerte »

En attendant que les lignes bougent, les femmes marins peuvent compter sur la solidarité de certains collègues. Mais c’est surtout la sororité qui semble parvenir à contrebalancer l’esprit de corps propice à l’omerta : « Les générations plus jeunes sont vraiment soudées, assure Élise. Même si certaines font comme s’il n’y avait pas de problème – une stratégie comme une autre pour se protéger et se fondre dans le moule. »

Un groupe fort de 180 femmes marins s’est constitué sur un réseau social. Elles y échangent conseils et informations, notamment sur le degré de sécurité des compagnies, s’y confient sur les difficultés rencontrées en tant que femmes. Elles y discutent aussi de l’actualité qui les concerne, comme le procès Genavir. (...)

« C’est un combat extrêmement lourd pour ces femmes, qui ont bouleversé une croyance selon laquelle les bateaux seraient des sortes de navires-îlots qui échapperaient aux règles de la vie terrestre. Dans ce combat, elles ont perdu beaucoup, à commencer par leur travail, leur santé a été impactée par les violences subies, etc. Et, plus de dix ans après les faits pour certaines, elles sont toujours en procédure afin de faire valoir leurs droits. »

À côté du procès pénal du printemps dernier, le tribunal judiciaire de Brest avait en effet condamné Genavir le 13 janvier 2022 pour manquement à son obligation de sécurité et de prévention, ainsi que pour harcèlement sexuel et agissements sexistes, mais débouté la plaignante de sa demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

Celle-ci ayant fait appel de la décision, une nouvelle audience s’est tenue le 2 octobre dernier devant la cour d’appel de Rennes. La décision sera rendue le 3 décembre. L’issue demeure incertaine, mais une lueur d’espoir pointe néanmoins à l’horizon : que désormais ce qui se passe à bord, ne reste plus à bord.