Autodidacte et militante infatigable, Flora Tristán a observé la réalité sociale avec un regard de scientifique pour proposer un modèle alternatif de société et de travail.
Pour Flora Tristán (Paris, 1803-Bordeaux, 1844), la transformation de la société devait être intégrale, et la communication avec les masses laborieuses était aussi importante que la diffusion littéraire de son modèle. C’est pourquoi elle ne se contenta pas d’écrire pour ceux qui pouvaient payer un livre et le lire, mais chercha à sensibiliser directement les classes travailleuses.
Sa proposition novatrice impliquait un lien indissociable entre la question ouvrière et la question féminine : il n’y aurait pas de libération prolétarienne sans libération des femmes. L’émancipation était donc la condition nécessaire de la justice universelle. Flora Tristán anticipa ainsi des débats qui, bien des années plus tard, occuperaient une place centrale dans les discours féministes. (...)
adolescente et ouvrière, Flora Tristán épousa en 1821 son jeune patron, André Chazal. Quatre ans plus tard, après de nombreuses dissensions conjugales et enceinte de son troisième enfant, elle s’enfuit du domicile conjugal en abandonnant son mari. Le divorce n’existait pas. La séparation des Chazal n’était pas légale. Pendant plusieurs années, Flora vécut comme une proscrite en France et en Angleterre. En 1833, elle traversa l’océan pour réclamer son héritage au Pérou auprès des Tristán. La famille l’accueillit plutôt favorablement et son oncle lui attribua certaines rentes, mais sans lui reconnaître de droit à l’héritage. (...)
Elle revint en Europe deux ans plus tard, ajoutant à son expérience personnelle un important travail de terrain. Elle avait développé une méthodologie pionnière pour décrire et dénoncer les injustices de race, de classe et de genre : voyager, dialoguer, recueillir des données à l’aide du modèle de l’enquête, et élaborer des analyses et des propositions.
Ainsi, Flora Tristán, autodidacte, fit de la véritable science sociale à partir de l’observation de la réalité, développant des travaux innovants qui fusionnaient réflexion théorique et expérience pratique.
Dans des ouvrages tels que Pérégrinations d’une paria (1838) ou Promenades dans Londres (1840), elle dénonça la misère et le manque d’instruction des classes laborieuses, la pauvreté infantile, la prostitution et la discrimination dont étaient victimes les femmes. Elle pointa les inégalités structurelles de la société capitaliste comme la racine de ces problèmes.
Face à cette situation, elle proposa son modèle d’organisation sociale, dont l’élément central était un prolétariat consolidé à travers l’Union ouvrière. Ce prolétariat devait être formé et bénéficier de protection sociale. Il ne s’agissait pas seulement de se constituer en force productive, mais aussi de transformer l’histoire.
Militante d’un socialisme en devenir
À partir de 1835, elle remporta un franc succès littéraire et s’attira l’estime des cercles intellectuels. C’est au sein de l’Union Ouvrière qu’elle choisit de s’engager comme militante d’un socialisme naissant, affirmant un style qui lui était propre et se faisant la porte-parole passionnée de ses idées, de ses modèles et de ses théories. (...)
Sa vision se caractérisait également par le rejet de la violence révolutionnaire comme unique voie de salut. Elle reconnaissait l’antagonisme entre travail et capital, mais ses stratégies réformatrices sociales reposaient sur la fraternité. Son but était d’atteindre la justice et l’amour universel.
Sa vocation de femme messie lui donna la force de diriger et d’échanger avec des milliers d’ouvriers et d’ouvrières lors de ses tournées à travers la France. Sa santé était fragile, avec un possible problème tumoral, et tous ces voyages la laissèrent exsangue. Des efforts incessants qui, combinés à un probable typhus, précipitèrent sa mort en 1844, quatre ans avant la publication du Manifeste du Parti communiste. (...)
À la fin de 1843 à Paris, le philosophe allemand Arnold Rüge conseilla au jeune Marx de rencontrer Flora Tristán, mais celui-ci ne le fit pas. Engels, quant à lui, mentionna avoir connaissance de son œuvre, mais sans se départir d’une certaine indifférence.
Toujours en arrière-plan
Tristán est restée en arrière-plan de l’histoire officielle du socialisme, alors qu’elle avait anticipé de nombreux débats qui allaient plus tard prendre de l’importance. Plus d’un siècle plus tard, la mise en valeur – importante et nécessaire – de la dimension féministe de son discours a éclipsé tous les autres aspects. (...)
– Lire aussi, sur Wikipedia, une biographie très étoffée :
Flora Tristan