
Au lendemain de la coupure géante de courant qui a paralysé la péninsule Ibérique, Espagnols et Portugais racontent une journée surréaliste marquée par la désinformation et leur impréparation face à ce type de catastrophe.
« L’ambiance était très incertaine, beaucoup d’infox ont circulé, on a pensé à une cyberattaque… mais la réalité, c’est qu’on ne sait toujours pas ce qui s’est passé », témoigne Beatriz Sánchez Santidrián, 37 ans, employée au musée Reina-Sofía de Madrid. Au moment où la panne électrique a débuté, à 12 h 33 le 28 avril, elle se trouvait à son travail et a vu les ordinateurs s’éteindre d’un coup.
Au bout d’une heure, visiteurs et personnel du musée ont été évacués. Comme de nombreux Madrilènes, elle a cherché à acheter de l’eau et, alors que les grandes surfaces baissaient leurs rideaux, a fini par en trouver dans une supérette. « Au musée, les robinets marchaient à l’électricité et nous nous sommes retrouvés sans eau ! J’avais peur que le système d’eau dans mon immeuble soit aussi dépendant du courant, mais ce n’était pas le cas. » (...)
Chez elle, où vit sa mère, Beatriz a ensuite pu suivre les informations grâce à une radio à piles. « L’avantage d’avoir une personne d’une autre génération avec soi, c’est qu’on a encore ce type d’objet ! » C’est d’ailleurs ce qui s’est aussi produit spontanément dans la rue. « Des groupes de gens se sont formés autour de transistors. Cela a créé une ambiance sympathique. »
Beatriz s’est souvenue à ce moment-là d’informations passées il y a quelques semaines dans les médias espagnols sur le « kit de survie » conseillé par le gouvernement français. Y figurent justement une radio portative… et de l’eau en quantité. « C’est cela qui me manquait. » Mais la Madrilène était plutôt contente de voir que « sans Internet et sans lumière, on peut continuer à vivre. C’est une leçon à tirer ». Elle a fini par prendre un livre sur ses étagères, et elle a lu. (...)
Démunie par le fait de devoir annuler tous ses rendez-vous téléphoniques de l’après-midi, cette autoentrepreneuse dans le secteur du tourisme a eu peur de s’ennuyer, ne sachant pas du tout quand le courant allait pouvoir être rétabli. Puis elle s’est mise à faire le ménage. « C’est là qu’on réalise notre dépendance à l’électricité, et pas seulement pour pouvoir communiquer sur nos smartphones… Je me suis rendu compte que je n’étais pas du tout équipée pour la circonstance. Je n’ai pas de bougie chez moi, par exemple. »
Wladia a reçu la visite d’une amie qui n’avait pas de liquide et s’inquiétait de ne pouvoir retirer de l’argent.
À Barcelone, aussi, l’événement a provoqué une convivialité inattendue : « On s’est parlé aux fenêtres entre voisins, des gens se sont mis à jouer aux cartes dans la rue… Ça a créé un truc assez joyeux, qui m’a rappelé la sortie du covid il y a cinq ans. Comme si on prenait conscience qu’on pouvait tous se retrouver. » Un sentiment un peu « dingue », estime cette trentenaire, qui s’amuse, incrédule, de ce paradoxe : « On a pu voir hier à quel point la 5G constituait notre connexion au monde… mais notre déconnexion à l’humain. » (...)
Au Portugal, la confusion a également régné à la suite de la mégapanne électrique. Lucinda Roxo, retraitée de 65 ans, a dû prendre sa voiture depuis Leiria, une ville à 140 kilomètres au nord de Lisbonne, pour aider sa mère âgée de 91 ans qui habite la capitale. « Elle était restée coincée dehors car le digicode de son immeuble ne fonctionnait pas, poursuit Lucinda. Je suis parti à 14 heures et je ne suis arrivée que dans la soirée. Il y avait des queues monstres pour faire le plein d’essence. Un voisin a finalement crocheté la serrure pour permettre à ma mère de rentrer. »
Lucinda se dit frappée du calme qui régnait hier dans les rues lisboètes : « Il n’y avait plus de téléphone, plus de télé, on n’a plus l’habitude de ce silence ! » Elle souligne aussi des petits détails qui, pour elle, dévoilent notre dépendance électrique : « Je n’avais même pas d’allumettes pour les bougies… » (...)
« cette panne géante doit être vue comme une opportunité pour voir les failles [du] système en cas de catastrophe ».
« On a été surpris à Lisbonne des queues dans les magasins pour acheter des petits transistors à piles, témoigne le comédien et humoriste lisboète Diogo Faro, 37 ans. Les petites épiceries tenues par les communautés indiennes ou népalaises, sujettes depuis des mois à des attaques de l’extrême droite, ont été essentielles pour fournir des radios ou encore pour faire crédit aux gens qui ne pouvaient pas acheter à manger car ils n’avaient pas de liquide sur eux… » (...)