
L’expérimentation de lutte contre le chômage lancée en 2016 est menacée par un budget 2024 insuffisant. Selon les associations, il manque 20 millions d’euros. L’exécutif est accusé de « changer les règles du jeu » d’un dispositif qui a pourtant permis l’embauche de 3 600 personnes éloignées de l’emploi.
Une décision à rebours de la loi, d’une promesse de campagne présidentielle et qui contredit tout le discours de l’exécutif sur la lutte contre le chômage : le budget prévu par le projet de loi de finances 2024 pour le dispositif « Territoires zéro chômeur de longue durée » est jugé insuffisant pour la bonne poursuite de l’expérimentation lancée en 2016 et censée se poursuivre jusqu’en 2026.
Deux lois, chaque fois votées à l’unanimité par le Parlement, ont permis ces expérimentations menées pour l’heure dans cinquante-huit territoires habilités. Elles ont déjà permis à 3 600 personnes de sortir du chômage de longue durée en intégrant des entreprises à but d’emploi (EBE), qui créent des emplois ne devant pas entrer en concurrence avec les entreprises locales. Les embauches se font en CDI « à temps choisi » et payé au Smic – grâce à une prise en charge de l’État – sur des territoires volontaires, durement frappés par le chômage. En moyenne, les personnes ayant intégré des EBE étaient sans emploi depuis quatre ans et neuf mois. (...)
Mardi 24 octobre, des manifestations ont été organisées partout en France, y compris devant l’Assemblée nationale, pour défendre le dispositif. À Montpellier (Hérault), plusieurs dizaines de personnes se sont ainsi rassemblées devant la préfecture pour témoigner de l’utilité de l’expérimentation et laisser éclater leur désespoir.
« On devait traverser la rue pour trouver un emploi, on l’a fait ! Ça fait deux ans et demi qu’on l’a fait ! Venir nous dire, maintenant, qu’il y aura rien à la fin, c’est très dur », s’émeut Aïcha, demandeuse d’emploi de longue durée qui « travaille d’arrache-pied » pour la création d’un territoire zéro chômeur à Pézenas, bassin d’emploi héraultais rongé par la précarité. (...)
Une « idée géniale » qui ne convainc pas tout le monde. La CGT a refusé de rejoindre les manifestations de soutien. « On veut nous embarquer dans la défense de l’expérience sans nuance et sans entendre nos critiques, explique Denis Gravouil, membre du bureau confédéral du syndicat et fin connaisseur des questions de chômage. On ne s’oppose pas frontalement aux territoires zéro chômeur car on voit bien que ça permet à des gens de remettre le pied à l’étrier, mais on demande des garanties. »
Il cite en exemple les salaires « non couverts par la convention collective des métiers » occupés dans les EBE, le sujet de l’accès à la formation et celui de la représentation syndicale dans les entreprises à but d’emploi. Si la CGT n’a pas participé aux manifestations, elle s’oppose néanmoins au projet de budget présenté par l’exécutif. « Le gouvernement doit trouver que ça coûte trop cher et ne veut que des dispositifs au rabais », ajoute Denis Gravouil. (...)
un premier coup a déjà été porté il y a un moins d’un mois : l’État a baissé sa contribution aux emplois créés dans les EBE. Elle est passée au 1er octobre 2023 de 102 % du Smic à 95 %, à la suite de la publication d’un arrêté ministériel le 31 juillet. « Cela baisse aussi le financement du département, regrette Céline Frier, présente à la manifestation de Montpellier. Les départements sont tenus de verser a minima 15 % de ce que finance l’État. La baisse est donc mécanique. » Selon elle, tout cela est « contradictoire avec l’esprit de l’expérimentation » et détaille : « On ne pourra donc pas tester jusqu’en 2026 et savoir si on était au bon niveau de prise en charge. L’État empêche le bon déroulé de l’expérimentation. » (...)
La loi « plein emploi », bientôt définitivement adoptée, ne prévoit-elle pas l’obligation d’heures d’activité pour les bénéficiaires du RSA, au nom de leur « autonomie » et de leur « dignité » ? Pourquoi, dans ce cas, prendre le risque de freiner ou de geler des projets qui fonctionnent ?
« L’expérimentation Territoires zéro chômeur contredit surtout leur politique du tout-coercitif », suggère le député LFI Sébastien Rome, qui annonce le dépôt d’un amendement « transpartisan » en commission pour ajouter les 20 millions d’euros manquants. « On se demande si le ministre ne cherche pas à mettre le dispositif sous tutelle, en l’englobant à terme dans France Travail, s’interroge de son côté Laurent Grandguillaume. Comme ça, ils pourraient en faire un dispositif vraiment réduit. »