
Un réseau de scientifiques confirme les effets sanitaires des pesticides SDHI, moins connus que le glyphosate, et s’inquiète de leur utilisation croissante. Rencontre avec la chercheuse Laurence Huc, coordinatrice de l’initiative.
Laurence Huc : Les SDHI sont des fongicides, c’est-à-dire des pesticides qui s’attaquent aux champignons et moisissures. Leur principe est assez simple : ils bloquent la respiration cellulaire des champignons (la fameuse « SDH », ou succinate déshydrogénase). En bloquant cette respiration, les SDHI tuent les champignons. Les tout premiers sont sortis dans les années 1970, mais ils étaient utilisés sur un nombre réduit de cultures. (...)
Trois jours après notre alerte de juin 2018, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) dit qu’elle se saisit de la question des SDHI, alors que cela fait six mois qu’on lui en parle sans que rien ne se passe. Elle diligente un « groupe d’expertise collective d’urgence », qui n’inclut aucun, aucune des scientifiques ayant lancé l’alerte, ni aucun spécialiste de la respiration cellulaire ou du cancer. En janvier 2019, ce groupe rend ses conclusions et nous dit qu’il n’y a pas de quoi se préoccuper et que les procédures d’autorisation ont été faites correctement. Nous sommes abasourdis. (...)
Les limites que nous dénonçons dans l’évaluation des effets des SDHI se vérifient pour tous les autres pesticides : ni les effets cocktails, ni les effets chroniques, ni les effets transgénérationnels ne sont jamais testés. Mais ce qu’il y a de particulier du côté des SDHI, et qui mériterait donc l’application immédiate du principe de précaution, c’est que les effets de l’inhibition de la succinate déshydrogénase (précisément le mode d’action des SDHI) sont très bien documentés, et ce depuis le début des années 1990.
On sait que cela peut conduire à des pathologies humaines graves telles que des neuropathies ou des encéphalomyopathies chez les enfants, mais aussi certains types de cancer neuroendocriniens et diverses autres tumeurs cancéreuses (...)
Vous décidez alors de créer Holimitox, un réseau pluridisciplinaire, dont les financements sont entièrement publics, qui réunit seize laboratoires et une soixantaine de personnes et qui travaille selon une approche intégrative « une seule santé ». Qu’est-ce que cela signifie ?
L’idée, c’est de considérer la santé planétaire dans sa globalité : les preuves obtenues chez certaines espèces identifiées – les rongeurs ou les abeilles par exemple – doivent être regardées comme une preuve en soit de la dangerosité d’un produit.
La santé humaine est interconnectée avec le vivant et tout ce qui déséquilibre l’une des entités de ce vivant va avoir des impacts sur les autres entités (...)
Pour mettre en évidence cette unité du vivant, et ne pas avoir à compter les cancers dans 15 ans, nous avons décidé d’unir nos compétences en croisant des disciplines très diverses. Une soixantaine de collègues ont répondu présent. La nécessité a été aussi de trouver des scientifiques qui n’aient pas de conflit d’intérêts avec les firmes. (...)
J’étais persuadée que, comme ces produits étaient autorisés, les industriels avaient dû fournir des données affirmant qu’ils étaient sans danger. Or, ces données mentionnent des effets cancérigènes, mais aussi neurotoxiques, reprotoxiques ou de perturbation endocrinienne. Ce qui est surprenant, c’est la façon dont ces données sont interprétées pour qu’on aboutisse, au final à une autorisation des produits par les autorités sanitaires. (...)
Ce que nous avons documenté au sein de Holimitox c’est que, contrairement à ce que disent les industriels, les effets des SDHI sur les non-humains sont bien prédictifs des effets sur les humains.
Par ailleurs, certains SDHI ont des autorisations de mise sur le marché (AMM) pour des fonctions acaricides (pour tuer les acariens dont certains attaquent les cultures) et nématicides (pour tuer les petits vers). C’est pour cette fonction nématicide qu’ils sont utilisés sur les terrains de foot notamment. Le fait qu’une même molécule puisse servir à ces multiples usages montre bien que les SDHI ne s’attaquent pas qu’aux champignons, mais à divers organismes vivants. D’où notre inquiétude. (...)