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Mediapart
« Les personnes pauvres vivent l’ère du soupçon permanent »
#pauvreté #inégalités #discriminations
Article mis en ligne le 10 janvier 2024
dernière modification le 8 janvier 2024

La députée européenne écologiste Marie Toussaint, tête de liste pour les élections européennes, lance avec l’avocat Emmanuel Daoud une campagne contre la « pauvrophobie d’État ». Pour empêcher les mesures qui aggravent la précarité, ils proposent un droit de veto social.

Marie Toussaint, députée européenne (Les Écologistes) et tête de liste pour les élections européennes de 2024, s’est illustrée dans la campagne l’Affaire du siècle, ce recours contre l’État pour son inaction climatique. Cette fois, aux côtés de l’avocat Emmanuel Daoud, elle s’attaque à la la « pauvrophobie d’État ».

Elle a présenté, lundi 8 janvier lors d’une conférence de presse, cette nouvelle campagne de lutte contre les politiques menées contre les personnes pauvres accompagnée d’une pétition. Elle vise pêle-mêle le déremboursement des frais dentaires, la volonté de supprimer l’aide médicale d’urgence ou encore celle d’imposer un travail d’intérêt général pour les familles jugées « défaillantes », une idée de la ministre des solidarités et des familles, Aurore Bergé.

L’élue souligne aussi que les discours et débats publics contre les « assistés » et les « oisifs » qui toucheraient des allocations sans travailler nourrissent et renforcent ces préjugés. Outre les outils juridiques, Marie Toussaint plaide pour l’instauration d’un « droit de veto social » qui permettrait de bloquer au niveau des institutions européennes toute loi susceptible d’aggraver les inégalités. (...)

Pourquoi lancer cette campagne maintenant ?

Nous vivons un moment de basculement. L’amplification de la crise sociale ne produit pas spontanément de la solidarité mais, au contraire, elle attise les oppositions, avec des millions de personnes qui craignent de vivre un déclassement social, et ciblent les plus malheureuses qu’elles dans une logique de concurrence.

Le discours anti-assistance prospère, avec l’idée fictive selon laquelle les « assistés » usent de privilèges indus. La puissance de ce discours, c’est qu’il réunit des affects de droite et de gauche dans la stigmatisation des plus pauvres, accusés d’être des parasites qui vivent des allocs.

Faute de perspective de progrès social, on tape sur le dos des plus précaires, qui sont deux fois victimes de la crise (...)

Ajoutez à cela une dimension raciale et vous obtenez la martingale de la loi immigration : pénaliser les plus fragiles pour faire croire à la population générale qu’on la protège. C’est insupportable. (...)

François Hollande qui se moquait des « sans-dents ». Se moquer des « sans-dents », c’est rire des pauvres défigurés par leur précarité. Donc, on peut soupçonner que cette pauvrophobie est plus profonde que celle strictement liée à Emmanuel Macron, qui de fait, répand aussi cette idéologie anti-pauvres. Considérer des gens comme « rien » reste vraiment très problématique.

N’oublions pas par ailleurs que la parole est performative. (...)

Il faut se rendre compte que les pauvres vivent l’ère du soupçon permanent. Par exemple, la loi pour le plein-emploi stigmatise le pauvre « oisif » comme le fraudeur par excellence, le flemmard qu’on doit remettre au travail. Or, quand on connaît la débrouillardise, l’intelligence à la fois émotionnelle et de situation, la capacité d’abnégation et d’énergie requises chez quelqu’un qui n’a pas assez pour finir les fins de mois, on sait qu’on est avec des gens qui n’ont pas besoin de leçons mais de soutien. (...)

Quand on est pauvre et qu’on n’est plus remboursé, on renonce à se soigner. On est alors condamné à vivre avec des affections extrêmement douloureuses et handicapantes.

Par ailleurs, les institutions médicales, dont la mission est de prendre soin, ne sont pas épargnées par une culture porteuse de stéréotypes sociaux. Je connais moi-même beaucoup d’histoires de personnes qui essayent d’aller voir le médecin et qu’on traite mal (...)

Que proposez-vous pour lutter contre cette pauvrophobie ?

Il ne s’agit pas de simplement changer des comportements personnels, mais bel et bien d’affronter une vision politique qui estime que les plus pauvres sont des rebuts de la société. J’appelle l’Union européenne à faire de la lutte contre la pauvreté sa colonne vertébrale, à rebours des politiques néolibérales qui ont été menées ces dernières décennies (...)

Que proposez-vous pour lutter contre cette pauvrophobie ?

Il ne s’agit pas de simplement changer des comportements personnels, mais bel et bien d’affronter une vision politique qui estime que les plus pauvres sont des rebuts de la société. J’appelle l’Union européenne à faire de la lutte contre la pauvreté sa colonne vertébrale, à rebours des politiques néolibérales qui ont été menées ces dernières décennies (...)

Pour ce faire, il faudrait passer toutes les politiques publiques au prisme de la réduction des inégalités en interdisant toute mesure qui soit susceptible de les aggraver. Concrètement, ça voudrait dire que, dans l’Union européenne, on ferait des études d’impact social préalables à l’adoption des lois, des projets, des budgets. Toute mesure socialement nuisible aux 10 % ou 20 % les plus pauvres serait retoquée. Le droit de veto social doit aussi entraîner une rupture avec le paradigme actuel. (...)

Lequel ?

Celui qui veut qu’on décide du sort des pauvres sans eux. (...)

La France pourrait prendre cette initiative de droit de veto social dès aujourd’hui si elle le souhaitait ! On peut même le faire à cadre institutionnel constant. On pourrait par exemple associer le Conseil national de lutte contre la précarité, qui fait déjà intervenir des personnes en situation de précarité. C’est une question de volonté politique. (...)

Nous souhaitons rappeler avec Emmanuel Daoud qu’on peut agir au pénal, contre la Caisse d’allocations familiales, contre l’État, pour discrimination socioéconomique. (...)

Mais il faut des personnes qui osent se saisir de cet outil-là. Ce qui n’est pas le plus simple, quand on est en situation de précarité.

Il y a aussi une responsabilité civile et administrative. Il est aujourd’hui très difficile de saisir le tribunal pour carence fautive, pour absence d’action sur la pauvreté et discrimination socioéconomique comme on l’a fait dans l’Affaire du siècle sur la question du climat. Mais je crois qu’est venue l’ère où la justice doit se préoccuper de ces questions d’inégalité extrême, d’absence de lutte réelle contre la pauvreté, et rappeler l’État à ses obligations en la matière.