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Mediapart
Léon, ex-militant de gauche, interdit de travail pendant les JO
#JO2024 #repression
Article mis en ligne le 23 juillet 2024
dernière modification le 21 juillet 2024

Privé d’accréditation pour travailler sur un site des JO de Paris, un régisseur doit cette interdiction, non motivée, à sa présence dans des fichiers de police ou de renseignement où il figure pour d’anciennes activités militantes n’ayant même pas donné lieu à des condamnations.

Le CDD était signé et ces trois semaines comme régisseur général étaient « un travail prestigieux », comme il dit. Embauché par la société Videlio Events, prestataire dans le spectacle vivant, Léon*, intermittent du spectacle de 33 ans, devait assurer cette fonction du 20 juillet au 10 août au Grand Palais de Paris, où vont se dérouler des épreuves olympiques d’escrime et de taekwondo. Mais il a dû faire le deuil de cette « opportunité professionnelle et financière ».

Le 5 juillet, son employeur a reçu de Paris 2024 un refus d’accréditation le concernant. « Un avis défavorable a été émis à votre encontre sans que les éléments de motivation ne soient connus de Paris 2024 », indique l’organisateur des JO dans le document confidentiel que Mediapart a pu consulter. Paris 2024 se dit « par conséquent […] dans l’obligation de rejeter sa demande d’accréditation » (...)

Ces enquêtes, le Sneas les mène en recourant à un dispositif d’« automatisation de la consultation centralisée de renseignements et de données », ACCReD, créé en 2017. L’ACCReD permet aux agent·es du Sneas d’accéder à plus d’une douzaine de fichiers (« traitement automatisé de données à caractère personnel », en jargon administratif) différents, parmi lesquels figurent le traitement d’antécédents judiciaires (TAJ), le fichier de prévention des atteintes à la sécurité publique (Pasp), ou le fichier des personnes recherchées (où se trouvent les fichés S).

Et c’est très probablement parce qu’il figure au TAJ que Léon a écopé d’un avis défavorable du Sneas, rédhibitoire pour se faire accréditer aux JO.

En 2016, alors qu’il œuvre à Toulouse comme photographe pour un petit média local indépendant, il est arrêté par la police lors d’une manifestation contre la loi travail. Accusé d’avoir mis le feu à des poubelles, il fait quarante-huit heures de garde à vue, avant d’être relaxé en première instance puis en appel.

En 2018, lors d’une manifestation des « gilets jaunes », il est interpellé, puis relâché le jour même. « Vu que l’avis défavorable n’est pas motivé, par défaut, je ne vois que ces deux faits qui peuvent l’expliquer, note Léon. Je suis dégoûté et en colère. Je pensais en avoir terminé avec ces histoires de justice et que c’était du passé. J’ai 33 ans et une vie rangée maintenant, avec des projets. Mais non, l’État préfère continuer à me punir pour des faits pour lesquels j’ai été relaxé. »

Militants fichés

Mobilisée sur cette affaire, La Quadrature du Net a lancé lundi 15 juillet un appel à témoignages et obtenu en moins de vingt-quatre heures une petite dizaine de retours. « La plupart sont des personnes qui devaient travailler sur le site des JO, se sont vu refuser leur accréditation et soupçonnent que ce refus est lié à d’anciennes activités militantes », explique Noémie Levain, juriste au sein de cette structure qui « défend les libertés fondamentales dans l’environnement numérique ».

« Au regard à la fois des retours que nous avons et aussi tout simplement des déclarations publiques de Gérald Darmanin, on peut penser qu’il y a une consigne d’écarter des JO toutes les personnes évoluant dans les milieux d’extrême gauche, militants et activistes », note-t-elle. (...)

Ainsi, le Pasp, un des fichiers consultés via l’ACCReD, est « un fichier de renseignement dans lequel peuvent être recensées des opinions politiques », explique Noémie Levain, pour qui « il y a en France un édifice de fichiers disponibles qu’on a laissé se mettre en place, et sur lesquels l’administration peut s’appuyer pour justifier de tels avis sans avoir à en détailler le contenu. On est dans la continuité de la discrimination politique et de la criminalisation de toute activité militante, observées ces dernières années avec par exemple la rhétorique sur l’écoterrorisme ».

Avocate à Toulouse et ancienne présidente du Syndicat des avocats de France (SAF), Claire Dujardin abonde : « La réalité est que l’on arrête et fiche de plus en plus de militants et de personnes qui s’engagent en France et qu’il y a une opacité sur la mise à jour des fiches et la collecte des données. Le fichier TAJ notamment pose problème : il n’est pas mis à jour et concerne des gens qui n’ont pas été poursuivis judiciairement mais qui ne sont jamais effacés des fichiers. » (...)

dès qu’il a appris son refus d’accréditation, Léon a déposé un recours gracieux auprès du Sneas. Deux semaines plus tard, il attend toujours la réponse et ne se fait plus d’illusions. (...)

Sans aucune certitude, Léon a cependant commencé à regarder ce qu’il pourrait faire ailleurs à cette période. Car le manque à gagner est important. Avec la disparition de ces deux missions consécutives de trois puis deux semaines, il renonce à 9 000 euros de rémunération brute (5 500 euros pour les Jeux olympiques, 3 500 euros pour les Jeux paralympiques), 360 heures d’intermittence (220 euros et 140 euros), 900 euros de congés spectacles (550 euros et 350 euros) et à 5 500 euros d’indemnités chômage cumulées sur une année.

À quoi s’ajoutent « plusieurs centaines d’euros » de frais d’avocat pour se défendre. (...)

« ce serait bien de faire supprimer ces fiches » : « Le risque, c’est que ça me porte préjudice à chaque fois qu’il y aura un gros événement où je pourrais être amené à travailler. Et puis, selon qui arrivera au pouvoir, quel sera l’usage de ces fiches, à l’avenir ? » Comme son cas l’indique, l’usage qui en est fait au présent est déjà très préoccupant.