À l’issue de dix-huit mois de négociations, un programme conçu pour lutter contre la fragmentation des industries de défense va concrètement voir le jour. S’il marque une rupture dans son principe, son impact restera marginal sans financements supplémentaires.
(...) la version finale de ce texte a été adoptée avec succès dans l’hémicycle de Strasbourg, mardi 25 novembre. 457 voix se sont exprimées pour et 148 contre, tandis que 33 eurodéputé·es ont choisi l’abstention.
Dans les limites d’une enveloppe d’un milliard et demi d’euros jusqu’en 2027, issus du budget de l’UE, les équipements militaires ainsi financés ne devront pas inclure de composants originaires de pays tiers non associés dont le coût excéderait 35 % du coût total estimé des composants. Au sein de cette enveloppe globale, 300 millions d’euros seront spécifiquement destinés au soutien à l’Ukraine. (...)
Les député·es écologistes, sociaux-démocrates, libéraux et conservateurs se sont largement retrouvé·es derrière le texte au Parlement. Les trois groupes d’extrême droite se sont en revanche divisés, même si une majorité du groupe de Jordan Bardella et la quasi-entièreté du groupe contrôlé par l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) ont rejeté le texte. Le groupe de la Gauche, coprésidé par l’Insoumise Manon Aubry, a également voté contre (à l’exception de quatre de ses membres qui ont préféré l’abstention), en fustigeant des dérogations sociales et environnementales accordées par le texte à l’industrie de défense.
Mercredi, lors d’une conférence de presse, Marie-Agnes Strack-Zimmermann (Allemagne), présidente libérale de la commission sécurité et défense, et les corapporteurs français François-Xavier Bellamy (Parti populaire européen, conservateur) et Raphaël Glucksmann (S&D, socialistes et démocrates) ont salué le rôle du Parlement dans l’obtention d’un résultat jugé « historique ».
Un pas vers la préférence européenne
François-Xavier Bellamy n’a pas manqué de souligner la position de vulnérabilité des États européens, révélée à chaque nouvelle vague de tractations diplomatiques sur le sort de l’Ukraine. (...)
Comme le souligne le chercheur Samuel Faure, spécialiste de la défense européenne, ce programme s’inscrit dans la continuité des « initiatives budgétaires formulées par la Commission depuis le début de la guerre en Ukraine », dont certaines, prises en urgence, n’avaient qu’un statut provisoire. Auparavant, c’est avant tout par l’outil des normes, plus que de l’argent sonnant et trébuchant, que la Commission cherchait à encourager une base industrielle de défense à dimension européenne et autonome.
« Edip agit sur le cycle de production des équipements militaires, précise le maître de conférences en science politique à l’Université catholique de Louvain (Belgique). Il vient compléter un autre instrument, le Fonds européen de défense, qui agit en amont de ce cycle, au stade de la recherche et développement. » Surtout, le programme va plus loin que les encouragements au réarmement de chaque État-nation : « C’est un instrument d’action publique à l’échelle de l’Union qui valorise l’autonomie stratégique à travers la préférence européenne, ainsi que la coopération entre les États. »
La bataille à venir : le budget européen
D’un autre côté, avec son milliard et demi, Edip reste financièrement très modeste. À titre de comparaison, l’ensemble des dépenses consacrées à la défense par les États membres s’élevait en 2024 à 343 milliards d’euros, selon les autorités européennes. (...)
« On est vraiment sur une ligne budgétaire à portion congrue, commente Samuel Faure. Le gros des budgets de défense reste dans les mains des gouvernements nationaux, au point qu’on peut se poser la question d’un réarmement des États contre l’Europe. Entre 2022 et 2025, ils ont dépensé deux fois plus pour des importations d’armes américaines que pour des équipements développés et produits en coopération européenne. »
Les député·es européen·nes en ont d’ailleurs bien conscience. « C’est une première pierre d’une base industrielle de défense commune, mais elle reste sous-financée », a admis Raphaël Glucksmann. Faire grossir l’enveloppe consacrée au programme sera cependant une gageure, tant les négociations s’annoncent déjà âpres sur le budget pluriannuel de l’UE pour la période 2028-2034. (...)
La question de la lenteur avec laquelle l’UE s’ajuste au contexte géostratégique reste cependant posée. (...)