
134 femmes ont été tuées en raison de leur genre en 2023, selon l’Inter Orga Féminicides. D’année en année, le chiffre ne diminue pas. Selon l’historienne Christelle Taraud, cette « dynamique de violences prend racine dans un système de domination très ancien ».
Le féminicide est probablement le crime le plus ancien, hors la guerre, de l’histoire de notre espèce. Il est associé à un système de domination polymorphe, qui a, depuis le Néolithique au moins, constitué les femmes non en individus à part entière, mais en extension d’autre chose : du couple, de la famille, de la communauté (d’âge, de caste ou classe, de race…), de la nation, etc.
Cet état de fait, extrêmement bien documenté aujourd’hui, a engendré des dispositifs de pouvoir qui se sont complexifiés avec le temps, notamment en Europe avec le développement des sociétés capitalistes qui reposent sur l’accaparement des ressources, y compris humaines. Ceci explique qu’on soit passé de la possession des femmes à la propriété. (...)
En France, ceci est acté de manière très claire après la Révolution, dans le Code civil napoléonien promulgué en 1804 grâce à l’article 213 qui précise « que la femme doit obéissance à son mari ». Le Code civil n’inscrit pas dans le droit que « la femme est la propriété de l’homme », mais c’est pourtant bien l’esprit de la loi : Bonaparte devenu Napoléon, répète à l’envi que la femme et les enfants sont les propriétés de celui-ci.
C’est pour ça que l’on dit souvent que le féminicide est un crime de propriétaire. C’est aussi pour cela que j’appelle ces crimes des exécutions, parce qu’un féminicide est toujours longuement préparé. On ne tue jamais spontanément dans ce cadre. On ne tue ni par passion ni par amour. On tue parce qu’on perd le contrôle et le pouvoir sur sa chose. Ce faisant, le féminicidaire est tout à la fois le juge et le bourreau. (...)
Par ailleurs, les féminicides ne sont pas non plus des actes isolés, il s’agit d’une pandémie nationale et mondiale. (...)
Ça montre que malgré la mythologie sur laquelle nous sommes fondés, qui consiste à dire que nous vivons dans des sociétés d’égalité, cette égalité est contestée partout et tout le temps. En ce qui concerne les femmes, qui constituent selon le dernier recensement de l’Insee presque 52 % de la population, on n’y est pas du tout. (...)
Ce système prend aussi le visage des inégalités économiques.
Quand une femme a les moyens de partir, c’est déjà très difficile, alors quand elle ne les a pas, c’est encore pire. (...)
Pour que les hommes arrêtent de tuer les femmes, à court terme, il faut croire les femmes et il faut les protéger. Il faut améliorer la prise en charge des violences : traiter correctement les femmes, leur parler correctement, les prendre au sérieux.
Cela, du point de vue policier comme judiciaire. Pour améliorer les choses, il faudrait aussi que la défense des féminicidaires ne repose pas sur l’attaque, sur le fait que, pour défendre un homme indéfendable, la stratégie de l’avocat·e se résume à salir la victime.
D’un point de vue sociétal, on devrait être capable d’agir là-dessus, faire que le procès soit vraiment un procès de réparation et pas celui de l’inversion des responsabilités. (...)