
À l’initiative de l’Assemblée Féministe Transnationale, cette tribune de solidarité avec le soulèvement iranien « Femme*, Vie, Liberté », signée par une multitude de collectifs et personnalités du monde entier, affirme que malgré l’épuisement, il est possible d’organiser nos forces pour changer le cours des choses. « La révolution iranienne ne se contente pas de s’opposer à la politique mortifère de la République Islamique, elle trace un projet de société post-capitaliste, solidaire et émancipateur. »
La République Islamique gouverne à travers un apartheid de genre et un racisme d’État. Elle ne tient que par le déploiement effréné d’un maintien de l’ordre ciselé selon les coordonnées raciales des populations à mettre au pas. Toutes ces techniques infusent l’économie coloniale globale. Les vies ne se valent pas : cette réalité a été rappelée en France en juin 2023 par le meurtre de Nahel et la répression sanglante des mouvements de révolte qui ont suivis. Nous la retrouvons à toutes les échelles : des côtes méditerranéennes que les pratiques de push-back ont transformées en fosses communes, aux quartiers populaires d’Europe, de Mayotte, de Guyane, en passant par ceux du Brésil, de Palestine, du Soudan, du Liban, d’Afghanistan et d’Iran.
Le cœur du féminisme que nous défendons est le combat contre ce continuum de violences et de déshumanisations à l’œuvre dans le capitalisme. Tant que nous n’affirmons pas notre voix, le féminisme restera monopolisé au profit d’un discours qui légitime cet ordre. Cela a été le cas lors de l’année écoulée : les pouvoirs occidentaux n’ont eu alors à la bouche qu’admiration pour le « courage des femmes iraniennes », tout en déroulant le tapis rouge à un féminisme libéral, islamophobe, et transphobe[ [3], qui prenait bien soin de séparer la lutte pour les droits des femmes de celles contre l’ensemble des oppressions contestées par les soulèvements révolutionnaires en Iran. Dans leurs jeux de pouvoir internationaux, ces mêmes gouvernements occidentaux tirent aujourd’hui profit de la déstabilisation de la République Islamique par la rue iranienne, tout en abandonnant cette dernière à des vagues alarmantes d’exécutions, d’arrestations et de tortures. Il n’est jamais apparu aussi clairement que l’émancipation des peuples est un enjeu inexistant sur l’échiquier international. C’est pourquoi le silence féministe n’est pas une option, et l’ignorance n’est pas une excuse.
Si les chemins des révolutions sont impossibles à décréter, il n’en reste pas moins essentiel de pratiquer l’échange des savoirs et des savoir-faire issus de résistances locales, d’entretenir des réseaux de solidarité concrète, de tisser la trame d’un peuple mobilisé à l’échelle mondiale.
(...) Aujourd’hui, après avoir traversé en France comme en Iran une année de lutte sociale, nous, militant·es de différentes organisations, relié·es par des préoccupations féministes anticapitalistes, savons comme la lutte dans le rapport de forces actuel est épuisante. Cet épuisement fait partie intégrante des techniques de gouvernement contre les peuples. Nous sommes jeté·es collectivement dans un chaos climatique, nos avenirs hypothéqués par les catastrophes, notre présent étouffé par le stress, la répression, le profilage racial, les corps épuisés par le travail, la pauvreté, l’illégalité, le manque de soin et de considération. Il ne nous est jamais apparu aussi clairement que les discours sécuritaires, dont nous abreuvent quotidiennement les médias possédés par une oligarchie réactionnaire, désignent en réalité la sécurité des pelouses de golfs. Sécurité pour le capital jusqu’à ce que le monde crève.
Ce constat ne doit pas nous faire perdre de vue qu’il est non seulement nécessaire, mais possible d’organiser nos forces et de changer le cours des choses. Le virage est serré, pas facile, mais faisable. (...)
La révolution iranienne ne se contente pas de s’opposer à la politique mortifère de la République Islamique, elle trace un projet de société post-capitaliste, solidaire et émancipateur. Elle est une leçon de mouvement, de réinvention politique et théorique, et c’est pourquoi le combat des Iranien·nes est celui des féministes et des corps en lutte du monde entier. Femme* Vie Liberté.