
L’érosion côtière menace sérieusement Lège-Cap-Ferret, en Gironde. Mais pour beaucoup dans cette commune prisée des célébrités, profiter jusqu’au bout du privilège d’une villa sur la côte prime sur les risques de submersion.
Fermant le bassin d’Arcachon, la presqu’île de Lège-Cap-Ferret est un petit coin de paradis réputé pour ses cabanes à huîtres. Quelques-uns des plus gros portefeuilles français l’ont métamorphosé en place forte de l’immobilier de luxe, où ont investi le chanteur Pascal Obispo, l’actrice Marion Cotillard ou encore le journaliste Laurent Delahousse — comme Johnny Hallyday avant eux. Dernier arrivant notable en date : le milliardaire Xavier Niel a signé en mars un chèque de 3 millions d’euros pour acquérir un hôtel en décrépitude, abandonné il y a près d’un demi-siècle devant les ravages de l’érosion côtière. (...)
Ici regorge toute l’incohérence de cette course effrénée au foncier. Il y a six ans déjà, un consortium de scientifiques déclarait — étude à l’appui — que la montée des eaux pourraient atteindre jusqu’à 2,4 mètres à la fin du siècle. Un chiffre deux fois plus élevé que la précédente estimation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), justifiée par la fonte express des calottes glaciaires et auquel le banc de sable girondin n’échappera pas.
À en croire la carte de France du Bureau de recherches géologiques et minières, service géologique national, une telle élévation du niveau de l’océan condamnerait la commune à une grande vulnérabilité à la submersion marine. Même en échappant au pire scénario, dans l’hypothèse optimiste d’une simple hausse de 50 centimètres à horizon 2100, bien des terrains seraient concernés. (...)
En dépit de ces projections, des dizaines de permis de construire fleurissent sur la presqu’île — 70 rien qu’en 2024, a recensé notre partenaire Mémoire Vive. (...)
« Le recul du trait de côte ? Je n’ai pas le temps, je déjeune », claque à l’interphone un résident. La mine un brin confuse, l’ouvrier œuvrant à l’extension de la bâtisse hausse les épaules. « Avant, le Cap-Ferret grouillait de lézards osselets et d’hippocampes, se souvient Patrick, aujourd’hui secrétaire général du Codeppi, association écologiste locale. Désormais, la canopée fond à vue d’œil. Les pins sont abattus pour éradiquer leurs épines si embêtantes. Le sable est remplacé par du gazon, pour ne plus en avoir plein les pieds. » À ses yeux, la commune s’est « disneylandisée » jusqu’à devenir une caricature : « Nous avions une presqu’île à vivre, ils en ont fait une presqu’île à vendre. »
Des restrictions jusqu’à 60 m de la côte ?
Ce privilège de bétonner à tout-va commence cependant à chanceler. La préfecture girondine a ouvert début juillet la consultation publique en vue de la prochaine mouture du PPRL de la ville. Acronyme de « Plan de prévention des risques littoraux », ce document cartographie les zones soumises à un fort risque de submersion marine d’ici 100 ans. Pour celles classées en rouge, s’applique dès lors le principe — modelable — d’y interdire toute nouvelle construction. Une politique d’urbanisme irritant grandement les élus dont le fonds de commerce s’avère être l’immobilier et le foncier, la valeur des terrains risquant de dégringoler.
Pour éviter à tout prix de perturber ce juteux marché, certains maires tentent alors de freiner le processus… comme ici, à Lège-Cap-Ferret. (...)