
La Libye a annoncé mercredi la suspension des activités de 10 organisations humanitaires internationales, dont Médecins sans frontières et le Conseil pour les réfugiés danois. Tripoli les accuse de mener des actions "hostiles visant à modifier la composition démographique du pays" en "installant des migrants" d’Afrique subsaharienne sur son territoire.
Les autorités libyennes ne veulent plus d’organisations venant en aide aux exilés dans le pays. Mercredi 2 avril, le gouvernement a annoncé la fermeture des sièges de 10 organisations humanitaires internationales et la suspension de leurs activités.
Lors d’une conférence de presse inhabituellement traduite en anglais, Salem Gheith, le porte-parole libyen de l’Autorité de sécurité intérieure (ASI, rattachée au ministère de l’Intérieur) a imputé aux ONG la volonté de "porter atteinte à l’intégrité de l’État et à sa sécurité intérieure" dans le cadre d’un "complot international".
Parmi les ONG concernées se trouvent le Conseil norvégien pour les réfugiés (NRC), Médecins sans frontières (MSF), l’organisation française Terre des Hommes, l’ONG italienne CESVI ou encore l’IRC (International Rescue Committee) ainsi que le Conseil pour les Réfugiés danois (DRC).
Contactée par InfoMigrants, MSF a confirmé que ses activités avaient été suspendues, dès le 27 mars "à la suite de mesures de l’Agence de sécurité intérieure libyenne (ASI), comprenant l’interrogatoire de membres du personnel de MSF et la fermeture administrative de nos locaux".
Le porte-parole s’en est pris aussi au Haut-commissariat aux réfugiés de l’ONU (HCR), l’accusant d’implication dans des "activités illégales" qui seront, selon lui, sanctionnées par le ministère des Affaires étrangères. Une source au sein de l’agence onusienne assure cependant à InfoMigrants que les activités du HCR continuent.
Toutes les ONG sont accusées de "trafic" de migrants et de "blanchiment d’argent" sous couvert d’action humanitaire, a estimé Salem Gheith.
"Campagne de répression contre les ONG internationales"
Peu avant, avait filtré une lettre d’ambassadeurs principalement européens et d’un représentant de l’ONU, obtenue par l’AFP, dénonçant "une campagne de répression contre les ONG internationales et les travailleurs humanitaires".
Dans leur lettre datée du 27 mars et adressée au ministre libyen des Affaires étrangères, 17 ambassadeurs, notamment de France, Grande-Bretagne, Espagne, Italie, Union européenne, dénoncent la convocation "d’au moins 18 membres du personnel" d’ONG. (...)
Le document faisait état d’interrogatoires d’employés locaux d’au moins six ONG, certains privés de passeports, d’autres forcés à démissionner. Certains ont dû "signer des engagements à ne plus jamais travailler pour une ONG internationale", affirment-ils.
Selon la source proche du dossier, le personnel étranger des ONG fermées a été prié de quitter le territoire ou de ne plus y revenir s’il se trouvait hors du pays pour les congés de fin de ramadan.
Inquiétudes des ONG
Il y a souvent eu des tensions entre les autorités libyennes et les organisations internationales mais, après une période d’arrêt de l’octroi de visas aux humanitaires étrangers entre juillet 2022 et décembre 2023, tout se passait "bien" en 2024, indique la même source.
Dans leur lettre, les diplomates ont demandé aux autorités libyennes de permettre aux ONG "de rouvrir leurs bureaux et de redémarrer leurs opérations humanitaires dès que possible". (...)
Les diplomates se sont dits "très inquiets de l’impact" de la suspension des activités sur les soins de santé de base, soulignant que des cliniques privées collaborant avec les organisations ont été l’objet "d’enquêtes et/ou arrestations".
La Libye peine à se relever d’une décennie de chaos et divisions entre des groupes armés très actifs à Tripoli, et deux camps rivaux se partagent le pays depuis la chute du dictateur Kadhafi en 2011.
Plusieurs rapports de l’ONU ou d’organisations internationales ont dénoncé ces derniers mois des arrestations arbitraires de journalistes, avocats, magistrats et opposants et des exactions contre des migrants, avec la découverte de fosses communes.
Des défenseurs des droits humains accusent l’ASI et son chef, le très influent Lotfi al-Harari, d’interpellations menées sous la forme d’enlèvements en pleine rue, de disparitions puis de réapparitions avec des aveux extorqués.