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Mediapart
La France prête à enterrer la définition européenne du viol
#viol #France #UE #femmes #consentement
Article mis en ligne le 4 février 2024
dernière modification le 3 février 2024

Éric Dupond-Moretti a affiché jeudi son opposition à une révision de la définition pénale du viol fondée sur la notion de non-consentement. Ce veto compromet un accord à Bruxelles sur un article clé d’une directive sur la lutte contre les violences envers les femmes, qui fait l’objet d’une ultime négociation mardi 6 février.

Frances Fitzgerald ne cache pas sa « déception ». L’eurodéputée libérale irlandaise bataille depuis des mois pour faire aboutir une directive européenne de lutte contre les violences faites aux femmes.

Pourtant, à quelques jours des ultimes tractations entre le Parlement européen, la Commission et les chef·fes d’État et de gouvernement, qui auront lieu le 6 février, Frances Fitzgerald avoue son scepticisme sur la possibilité de faire aboutir dans cette directive une définition juridique européenne commune du viol fondée sur la notion de non-consentement.
(...)

« ni la France ni l’Allemagne ne sont d’accord pour inclure le viol dans cette directive. » La Hongrie de Viktor Orbán ne l’est pas davantage, au contraire de quinze autres États, dont la Pologne, depuis peu gouvernée par une coalition libérale. (...)

Dans notre émission « À l’air libre » consacrée à ce sujet, Véronique Riotton, la présidente de la délégation aux droits des femmes de l’Assemblée nationale, a confirmé qu’à ce stade, « l’article 5 [sur le viol] est enlevé de cette directive ». « La France, a dit cette députée membre du parti d’Emmanuel Macron, doit changer de position : elle a jusqu’au 5 février pour le faire. » Les propos du ministre de la justice laissent peu d’espoir. (...)

À Bruxelles, le temps presse car il ne sera plus possible d’avancer dans quelques semaines, à cause des élections européennes de juin ; mais aussi de la présidence du Conseil européen qui passera à la Hongrie ultra-conservatrice de Viktor Orbán à partir du 1er juin. (...)

Une définition du viol restrictive

Le 24 janvier, de nombreuses ONG et organisations féministes européennes, comme Amnesty International, Human Rights Watch ou le Center for Reproductive Rights, ont déploré « que certains États membres fassent preuve d’une absence de réponse têtue face au besoin de combattre le viol dans l’Union européenne, en se cachant derrière des interprétations légales restrictives ».

Selon l’Insee, 100 000 viols sont recensés chaque année dans l’Union européenne. D’après l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, une Européenne sur trois âgée de plus de 15 ans a subi des violences physiques et/ou sexuelles, et une femme sur vingt a subi un viol.

Au cœur du désaccord, l’idée même d’une définition commune européenne du viol, notamment refusée par la France qui estime que le viol ne relève pas du domaine de compétence de l’Union européenne. Mais aussi les mots choisis dans la directive : le viol y est en effet défini comme un rapport sexuel sans consentement. (...)

« Dans tous les pays où la législation a changé, les condamnations ont augmenté, assure à Mediapart Evin Incir, la co-rapporteure de la directive. Et aussi les plaintes, car les femmes se disent que ça sert à quelque chose de signaler ces agressions. »
Renversement sociétal

Depuis des mois, la France fait obstinément obstacle à la directive. Ces derniers jours, un arbitrage élyséen était attendu. Mais il semble tarder, alors même que certains ministres, à commencer par Stéphane Séjourné, ancien président des eurodéputé·es macronistes récemment nommé ministre des affaires étrangères, y sont favorables. (...)

Manon Garcia assure que « croire qu’il suffit de définir le viol pour y mettre fin est illusoire ». Elle pointe le risque de voir des victimes « scruté[e]s » dans les prétoires sur leur propre consentement, « au lieu » que les audiences ne se « concentr[ent] sur le comportement du mis en cause ».

Au-delà des arguments juridiques, la députée Véronique Riotton assure qu’il existe « un autre frein, colossal », d’ordre culturel, et qui peut expliquer la frilosité du gouvernement français. « En introduisant le consentement dans la loi sur le viol, dit-elle, on s’attaque à un renversement sociétal encore plus grand. On s’attaque à la culture du viol. » Et donc à un imaginaire sexiste très ancré, dès qu’il s’agit de la sexualité. (...)