
La France est poursuivie en justice pour "faute lourde" dans neuf cas de féminicides. Les proches des victimes estiment que ces décès étaient évitables, que ces femmes avaient porté plainte et signalé les violences dont elles étaient victimes mais que les négligences et dysfonctionnements de la police et de la justice ont empêché de les sauver. Dans cette édition, Laure Manent reçoit la professeure de psychologie sociale et spécialiste du contrôle coercitif Andreea Gruev-Vintila, ainsi que Sylvaine Grévin, la sœur de Bénédicte Belair. Cette dernière est morte en 2017 d’un hématome sous-dural au cerveau – consécutif à une chute accidentelle selon la justice, infligée par son conjoint violent et déjà condamné pour cela par le passé, selon Sylvaine Grévin et son frère. L’avocate Isabelle Steyer, qui porte plusieurs de ces plaintes, estime que la France doit faire mieux.
Chaque année, 140 hommes tuent leur conjointe ou ex-conjointe dans un féminicide. Ce sont les chiffres officiels du ministère de l’Intérieur, mais ils cachent la forêt des victimes invisibles (...)
Pour la professeure de psychologie sociale et spécialiste du contrôle coercitif, Andreea Gruev-Vintila, ce sont les plaintes déposées chaque année auprès des services de police qui reflètent le mieux l’étendue réelle des violences faites aux femmes : 250 000 chaque année. Mais en réalité, un tiers seulement des abus sont des violences physiques, le reste est constitué de violences psychologiques et de contrôle coercitif, qui échappent à la police et à la justice, parce qu’ils ne laissent pas de bleus ou d’œil au beurre noir.
Ces plaintes sont déposées à 85 % par des femmes et parmi elles, 82 % ont des enfants avec leur agresseur. Les enfants sont autant d’"éléments" de contrôle supplémentaires pour ces bourreaux qui manipulent leur victime comme une marionnette, en les menaçant, les instrumentalisant contre leurs mères, en les violentant… ou même en utilisant des moyens légaux pour s’en prendre à elles, comme dans les tribunaux aux affaires familiales.
Mais au-delà de ces cas discrets, voire insaisissables, il y a tous ceux connus des forces de police et de la justice, pour lesquels des séries de dysfonctionnements et négligences se sont conclues par des décès pourtant évitables. (...)
Lire aussi :
– (TV5 Monde)
Procès des viols de Mazan, violences conjugales, cyberharcèlement sexuel ... Si des lois existent déjà, elles ne permettent qu’une action morcelée. C’est ce que dénoncent les associations féministes qui réclament un texte global pour mettre en commun et rendre plus efficaces les moyens d’endiguer le fléau des violences faites aux femmes. On recense 105 féminicides depuis janvier 2025. (...)
– (France Info 2023)
Pourquoi la France ne parvient-elle pas à faire baisser le nombre de féminicides ?
Alors que le nombre de féminicides a augmenté de 20% en France en 2021 par rapport à 2020, l’historienne Christelle Taraud estime qu’il faut "mettre de l’argent pour former toute la chaîne répressive" et renforcer la prévention (...)
Ce système d’écrasement des femmes est très ancien, et le crime n’est que la partie la plus visible de l’iceberg. Quand on s’intéresse au parcours des femmes victimes de violences féminicidaires, on constate qu’il est émaillé de très nombreuses autres formes de violences connectées les unes aux autres. Cela peut être des violences verbales, physiques, sexuelles, et au final, des violences létales, qui conduisent à la mort physique de la personne. Mais en réalité, de très nombreuses femmes sont "mortes" avant d’être mortes.
De nombreux professionnels dénoncent un budget encore insuffisant, la France se situant encore loin derrière des pays comme l’Espagne. Partagez-vous leur opinion ?
Il faut mettre de l’argent pour former toute la chaîne répressive. Dans le cas du féminicide en Gironde, par exemple, on sait que la victime avait porté plainte deux fois contre son ex. Il faut qu’il y ait des équipes formées à ces questions dans tous les commissariats de France. Il faut aussi mettre en place des tribunaux dédiés, comme c’est le cas en Espagne, avec des magistrats spécialisés. (...)
On peut également citer les femmes qui meurent après des mutilations génitales, mais aussi les meurtres transphobes, lesbophobes, putophobes [qui visent les travailleuses du sexe]… Il y a un intérêt politique à maintenir une catégorie restreinte pour ce recensement : 100 femmes qui meurent par an, ce n’est pas pareil que 1 000 femmes ou 10 000 femmes. Et cela ne nécessite pas les mêmes moyens.
Plusieurs spécialistes pointent une formation encore insuffisante chez les forces de l’ordre. Mais n’est-ce pas toute la société qu’il faut former et sensibiliser sur la question ?
Le continuum féminicidaire qui conduit au meurtre est, pour des pans entiers, totalement intériorisé par les hommes, mais aussi par les femmes. D’où l’importance de l’initiative d’Hélène Bidard, adjointe à la maire de Paris chargée de l’égalité femmes-hommes, qui a distribué partout à Paris un "violentomètre"(Nouvelle fenêtre) (document PDF) en plusieurs langues. Il permet de situer les couples à partir de situations de la vie courante : vert, ce sont des situations acceptables, normales. Et il est gradué jusqu’au rouge écarlate, pour une situation dans laquelle il faut s’enfuir et demander de l’aide. (...)