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Diplomatie féministe : dénoncer les contradictions du gouvernement français
#diplomatieFeministe #feminisme #femmes
Article mis en ligne le 22 octobre 2025
dernière modification le 21 octobre 2025

Ces 22 et 23 octobre, la France accueille la 4e Conférence ministérielle des diplomaties féministes, et prévoit de présenter à cette occasion sa nouvelle stratégie internationale pour une diplomatie féministe. Présentée comme une politique plaçant l’égalité de genre au cœur de l’action internationale, selon un ensemble d’organisations, la « diplomatie féministe » française ne se donne en réalité pas les moyens de s’attaquer aux causes structurelles des inégalités et discriminations.

Sans mobiliser les financements nécessaires pour soutenir les mouvements féministes, et sans rompre avec les mesures xénophobes, militaristes, libérales et climaticides prises au cours des derniers mois, cette stratégie n’aura finalement qu’une portée symbolique.

En plein backlash, une diplomatie féministe nécessaire

Au niveau international nous assistons à une remise en cause massive de l’égalité de genre : montée de l’extrémisme, des régimes autoritaires, instrumentalisation religieuse et politique contre les droits sexuels et reproductifs. L’offensive des mouvements réactionnaires anti-droits et masculinistes est particulièrement brutale, notamment en Europe, où ces derniers ont reçu 1,18 milliards d’euros entre 2019 et 2023 (1). Dans ce contexte, adopter une approche féministe de l’action extérieure n’est pas un luxe, mais une nécessité absolue pour peser dans les rapports de force internationaux.

Une approche intersectionnelle indispensable

La stratégie française promeut une vision du féminisme cloisonnée, réduite à la seule dimension du sexe/genre. Elle fait notamment abstraction des rapports de domination Nord-Sud qui structurent encore l’action extérieure des États et perpétuent les inégalités mondiales. Toute politique qui se veut féministe sans être intersectionnelle et décoloniale manque inévitablement sa cible. Loin d’appliquer de tels principes, dans nombre de domaines clés de sa politique étrangère, l’État français porte atteinte aux droits humains et aux libertés. (...)

Une diplomatie féministe crédible doit nécessairement intégrer le désarmement et le contrôle des exportations d’armes.

Tant à l’international que sur son territoire, la France continue d’appliquer des politiques migratoires racistes. Elle ne fournit que très peu de voies de migrations légales et sûres, notamment aux femmes et filles, premières victimes des conflits armés, et particulièrement vulnérables aux violences sur les parcours migratoires. (...)

Dans ses territoires ultramarins également, l’État français fait preuve d’un racisme structurel : à Mayotte, l’Agence régionale de santé assume de proposer aux femmes une ligature des trompes pour endiguer la natalité. Ce serait donc aux femmes d’accepter d’être stérilisées pour pallier le manque d’investissement de l’Hexagone dans les services publics de l’île (4).

Jusqu’à présent, l’État français échoue à réguler les activités des multinationales. Il aide la Commission européenne à torpiller la directive sur le devoir de vigilance européen, affaiblissant les responsabilités des grandes entreprises pour les violations des droits - notamment des travailleuses - dans leurs chaînes d’approvisionnement. Dans de nombreux pays du Sud global, l’État soutient financièrement, politiquement et parfois militairement des projets extractivistes de multinationales françaises ayant un impact disproportionné sur les femmes autochtones et la destruction du vivant. En matière agricole, alors que les agricultrices sont les premières touchées par la crise climatique et l’insécurité alimentaire, la France ne remet pas en cause les conséquences néfastes de sa politique exportatrice et devrait aujourd’hui se positionner fermement à l’encontre de l’accord UE-Mercosur qui privilégie les intérêts économiques de grandes industries au détriment de la souveraineté alimentaire et des droits fondamentaux des communautés rurales.

Les ambitions françaises contredites par la précarisation grandissante des mouvements féministes dans le monde (...)

À travers le monde, de nombreux projets dédiés à l’égalité de genre, aux droits sexuels et reproductifs et aux personnes LGBTQI+ sont actuellement remis en cause. Les principaux pays donateurs de l’OCDE (dont la France) ont réduit leur aide publique au développement de 7,1 % en 2024 par rapport à 2023. De son côté, la France a acté une coupe historique de plus de 2,3 milliards d’euros pour le budget 2025 (soit -39%). Et ce n’est pas fini : le projet de loi de finances pour 2026 évoque déjà une réduction supplémentaire de plusieurs centaines de millions d’euros. Par ailleurs, la stratégie française pour une “diplomatie féministe” échoue à préciser quel pourcentage de l’aide au développement sera dédié à l’égalité de genre, la France ne respectant déjà pas les seuils prescrits en la matière par sa propre législation (6).

Ces coupes brutales mettent en danger la survie de nombreux projets et organisations féministes. (...)

Pour être crédibles, les engagements de la France au niveau international doivent être cohérents avec les politiques publiques internes. Or, au niveau national aussi, l’État coupe massivement les budgets du mouvement associatif. Par exemple, le Planning Familial et les CIDFF, en première ligne pour défendre les droits sexuels et reproductifs et lutter contre les violences, voient leurs moyens se réduire, alors même qu’ils assurent des missions cruciales qui seraient très coûteuses si l’État devait mettre en place des services publics équivalents. Malgré une explosion des demandes depuis le Mouvement Me Too, l’AVFT, seule association française experte des violences sexistes et sexuelles au travail, et qui accompagne des centaines de femmes en justice (y compris devant la Cour européenne des droits de l’Homme), ne parvient pas à obtenir d’augmentation de son financement, ni d’engagement pluriannuel de l’État, entravant la pérennité et le développement de son action.

Absence de redevabilité

Enfin, la stratégie française ne prévoit pas de mesures permettant de s’assurer de son application effective dans les différents domaines de la politique étrangère. (...)

Nous, organisations féministes, en avons assez des effets d’annonces : “grande cause du quinquennat”, “diplomatie féministe”. Une fois de plus, nous dénonçons une instrumentalisation des droits des femmes à des fins de communication. Si elle se revendique du féminisme, la politique étrangère nécessite des changements radicaux, que nous exigeons.