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Mediapart
La crucifixion de Donald Trump
#Trump #evangelistes #identite #USA
Article mis en ligne le 2 juin 2024
dernière modification le 31 mai 2024

Comment expliquer le soutien des évangélistes à l’ancien président, reconnu coupable dans l’affaire Stormy Daniels, du nom d’une actrice porno dont il a acheté le silence ? C’est que pour ces chrétiens blancs, la religion n’est plus une affaire de foi mais d’identité.

Les analystes s’interrogent sur le verdict et ses conséquences sur l’électorat, mais un groupe semble immunisé contre le doute : la base la plus fidèle et fervente de Donald Trump, les chrétiens évangéliques blancs, qui le soutiennent à plus de 80 % depuis 2016.

La réaction de Trump est quant à elle prévisible : il poursuivra dans la victimisation qui renforce sa position de candidat antisystème. Il voudra se venger et dira qu’il le fait pour ses électeurs et électrices. (...)

Or, le soutien des chrétiens évangéliques blancs à Trump se maintient, y compris après un procès qui semble être un concentré de leurs pires cauchemars – mensonge, corruption, adultère, et porno en prime. Pour le comprendre, il faut revenir sur la transformation de la religiosité aux États-Unis depuis vingt ans, et sur ses liens avec le Parti républicain et la candidature de Trump aujourd’hui. Une évolution qui aura des conséquences politiques profondes si Trump l’emporte en novembre prochain.

Martyr de la guerre culturelle

La campagne que mène Trump depuis fin 2022 fait un usage toujours croissant de termes apocalyptiques, comparant l’élection 2024 à la « bataille finale », et la campagne qui l’oppose à Biden à un combat entre le Bien et le Mal. Dans ce combat, Trump est « celui qui prend les coups pour vous », le seul à se tenir entre le « régime Biden marxiste » et les « chrétiens persécutés ». Toutes ces formules sont répétées à longueur de meetings.

La religion est au cœur de ce combat politique, mais sa place a changé de nature : elle n’est plus affaire de foi mais d’identité. Trump et les pasteurs qui le soutiennent invoquent un combat pour « l’âme de l’Amérique », en réponse à Biden qui faisait campagne en 2020 sur la promesse de restaurer cette « âme de l’Amérique ».

Ce face-à-face est un affrontement sur la définition de l’identité américaine. (...)

La transformation de la religiosité

Rappelons d’abord que les « sans-religion », athées ou agnostiques, sont de plus en plus nombreux aux États-Unis, comme dans d’autres démocraties occidentales. Les chrétiens évangéliques blancs sont une minorité de plus en plus faible numériquement, mais influente politiquement. Trump est devenu le bras armé des inquiétudes de cette population qui n’est plus majoritaire aux États-Unis désormais, ce qui explique aussi sa paranoïa, son sentiment de persécution et son activisme.

C’est bien un nouveau réveil religieux au sens de combat politique, comme lors de précédents réveils religieux qui ont marqué l’histoire américaine : après le combat contre l’esclavage ou contre l’alcoolisme, c’est cette fois un combat contre la sécularisation de la société, contre l’avortement, le mariage homosexuel, les droits des minorités en général. (...)

la particularité de ces chrétiens charismatiques, au-delà de leurs croyances en l’arrivée de nouveaux apôtres à partir de 2001 (d’où le nom de Nouvelle Réforme apostolique), est qu’ils sont à la conquête du pouvoir politique aux États-Unis. Pour eux, Trump est « l’élu de Dieu », un Cyrus des temps modernes. Ils croient aux prophètes et aux prophéties, qui se prêtent bien aux mèmes et autres tweets de l’ère électronique. L’inspirateur du mouvement, le missionnaire C. Peter Wagner, l’envisageait comme « le changement le plus radical depuis la Réforme protestante ».

Cette évolution du protestantisme américain, autre symptôme d’une époque de désintermédiation généralisée, a été boostée par l’avènement des réseaux sociaux, d’autant plus que l’on a affaire à une religion aux multiples dénominations et sans clergé hiérarchisé.

Ces chrétiens charismatiques sont aussi les fers de lance du nationalisme chrétien, désormais revendiqué par certains élus républicains, y compris le président de la Chambre des représentants, Mike Johnson. Ce nationalisme chrétien peut être défini comme un cadre qui confond identité américaine et identité chrétienne, considérant les deux comme étroitement liées et cherchant à renforcer et à préserver leur union. Beaucoup de leurs symboles étaient présents lors de l’assaut sur le Capitole le 6 janvier 2021.
Nationalisme chrétien et nouveau Parti républicain

La religion est donc devenue avec Trump un marqueur d’identité bien plus qu’une affaire de foi. (...)

Depuis 2021, et principalement parmi les partisans évangéliques blancs de Trump, le nationalisme chrétien est de plus en plus revendiqué, et accepté au sein même du Parti républicain. (...)

Ces mêmes réseaux ont joué un rôle important dans l’organisation de l’assaut sur le Capitole 6 janvier : on se souvient du « chaman QAnon » aux cornes de bison ; la seule victime du côté des assaillants, Ashli Babbitt, était également une adepte.

Une audition de la commission du Congrès sur le 6 janvier avait souligné cette religiosité omniprésente chez les assaillants, les bibles brandies, les drapeaux chrétiens et les sessions de prière. (...)

innovation de cette campagne 2024 : les rassemblements de Trump ressemblent toujours à de grands spectacles, mais on est désormais entre le concert et le revival chrétien. Trump, d’ailleurs, vend des bibles, des casquettes « Make America Godly Again » (« Rendre l’Amérique croyante à nouveau ») et autres « Jésus mon prophète, Trump mon président ».

Le croquis du Christ assis au prétoire à côté de Trump n’est que l’aboutissement de cette dernière évolution du trumpisme. Le lien avec la base chrétienne a changé de nature. Au départ, Trump se servait du mouvement, désormais le mouvement le façonne aussi. Ce n’est plus seulement un contrat, cela va plus loin.

Tout comme une deuxième administration Trump irait plus loin. Ce qui a commencé comme un appel populiste à sauver une « vraie Amérique » est désormais un mouvement politique radicalisé, parfois violent, en rupture avec la Constitution du pays et son Premier amendement.