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Mediapart
L’éducation face au vertige de l’intelligence artificielle
#educationNationale #numerique #IA
Article mis en ligne le 15 février 2025
dernière modification le 13 février 2025

Alors que ChatGPT est déjà un compagnon régulier des élèves, l’urgence semble être à former les enseignants à cette technologie, afin qu’ils puissent l’enseigner à leurs élèves. Et éviter au maximum les dangers d’une IA incontrôlée. Une formation obligatoire en classe de 4e et de seconde est annoncée.

Passer de quinze heures de correction de copies à… trois minutes ! Cet exploit que ne peuvent réaliser les enseignant·es serait désormais possible grâce à Gingo. Cet « assistant de correction », qui tourne à l’intelligence artificielle (IA), est déployé par l’entreprise annécienne Compilatio, déjà connue pour son logiciel permettant de détecter le plagiat. Une cinquantaine d’enseignant·es testent depuis la rentrée Gingo, qui permet donc, selon l’entreprise, de diviser par 300 le temps de correction de trente copies.

Dans l’académie de Lyon, quelque cent cinquante professeur·es de mathématiques et d’histoire-géographie expérimentent un autre logiciel d’aide à la correction, Ed, créé par l’éditeur de manuels numériques Lelivrescolaire.fr. Dans les deux cas, les initiatives sont soutenues par l’Éducation nationale (...)

Si les logiciels d’intelligence artificielle ne sont encore utilisés que par peu d’enseignant·es, cette dernière s’implante de plus en plus au sein de l’Éducation nationale. (...)

Depuis la rentrée 2024, des académies testent aussi le logiciel de « remédiation » en français et en mathématiques MIA Seconde, élaboré par la start-up EvidenceB. Cette expérimentation a été annoncée en 2023 par Gabriel Attal au moment du « choc des savoirs ». Sa successeure Rue de Grenelle, Nicole Belloubet, a demandé en mars 2024 au Conseil supérieur des programmes que ces derniers contribuent, « pour chaque discipline, à créer une culture de l’IA ».

Enfin, en marge du sommet sur l’IA, Élisabeth Borne annonce une formation en ligne sur le sujet, pour les collégien·nes et les lycéen·nes dès la rentrée 2025. Elle sera même obligatoire pour les élèves de quatrième et de seconde. En plus d’une « charte » pour une IA plus « éthique » dans l’éducation, l’actuelle ministre a également lancé un appel à projets doté de 20 millions d’euros pour une IA « souveraine » destinée aux enseignant·es, consacrée à la préparation des cours, l’évaluation ou la correction des devoirs.

Apprendre, évaluer... copier ? (...)

L’explosion de l’utilisation des IA génératives laisse entrevoir une révolution générale dans les pratiques numériques, de laquelle l’éducation n’est pas exclue. Un sondage réalisé auprès de lycéens scolarisés en Nouvelle-Aquitaine, cité par le rapport « IA et éducation » de la délégation à la prospective du Sénat d’octobre 2024, montre que 90 % d’entre eux ont déjà utilisé l’IA générative pour faire leurs devoirs.

Les rapporteurs, Christian Bruyen (app. LR) et Bernard Fialaire (RDSE), affirment que « la question n’est plus de décider s’il faut faire une place à l’IA dans l’éducation mais de savoir comment accompagner les développements en cours et répondre aux enjeux de l’éducation par et [face] à l’IA ».

L’IA touche l’éducation à tous les niveaux : les élèves, les personnels, le système. (...)

Les enseignant·es, outre la détection du plagiat et l’aide à l’évaluation, peuvent se voir assister à la conception de cours, à la surveillance ou dans « l’orchestration de la salle de classe ». L’institution, quant à elle, peut faire appel à l’IA pour son système d’admission des élèves, la planification des cours, la sécurité ou « l’identification précoce des décrocheurs et des élèves à risque ».

Certains pays vont déjà plus loin. Aux États-Unis, les élèves d’une école de Phoenix n’auront plus d’enseignant·es à la rentrée 2025 mais seront uniquement face à une intelligence artificielle. En Chine, des capteurs physiques et physiologiques sont expérimentés pour évaluer la concentration des élèves en fonction de certaines caractéristiques comme le mouvement de leurs yeux.

L’avenir du métier enseignant

Dès lors, l’arrivée de l’IA dans l’éducation fait naître des craintes. « L’automatisation du métier enseignant peut aller très vite, et c’est sa destruction qui est derrière », alerte Christophe Cailleaux, responsable des questions numériques au Snes-FSU. (...)

Si les dangers autour de l’IA peuvent rappeler ceux – qui ne se sont pas toujours réalisés – apparus au moment de l’arrivée de Wikipédia ou des cours en ligne « MOOC », Christophe Cailleaux affirme qu’« il y a des signes que les risques existent, comme le fait qu’il y ait déjà des établissements dans le monde où il n’y a plus d’enseignants. Ces machines sont hyper puissantes, c’est au-delà d’un MOOC. Une IA peut gérer quarante élèves individuellement, nous, on ne peut pas. Des concepteurs d’IA eux-mêmes les disent dangereuses. Tout cela devrait être des alertes rouges ».

Il est dès lors essentiel de prévenir et d’empêcher ces dangers. Le consensus de Pékin de l’Unesco recommande notamment de « planifier l’IA dans les politiques de l’éducation », d’« autonomiser les enseignants au lieu de les remplacer » et de « promouvoir une utilisation de l’IA équitable et inclusive ».

La délégation sénatoriale pose quant à elle « la nécessité d’accompagner les enseignants par la définition de lignes directrices claires » et « d’assurer les enseignants de leur place toujours centrale dans le processus éducatif ». La formation des professeur·es est, aux dires des acteurs, une des premières nécessités.

Prendre le temps, et former (...)

« Il n’est pas possible de continuer à faire comme si les IA génératives n’appartenaient pas à qui elles appartiennent : soit à des entreprises inféodées au pouvoir chinois, soit à des personnes de l’entourage de Trump ». La question environnementale a également sa place au cœur des débats, une recherche via une IA générative consommant, selon les estimations, dix à trente fois plus que sur un moteur de recherche.

Face à tous ces questionnements, d’aucuns plaident pour prendre le temps. « Et si on mettait “pause” et qu’on se demandait : “qu’est-ce qu’on fait ?” », propose Christophe Cailleaux. (...)