Organisé le 6 novembre au lycée professionnel Michelet à Fontenay-sous-Bois, un « rallye citoyen » a mis les élèves dans la peau de détenus se battant contre les surveillants pénitentiaires. Plusieurs ont été blessés. Une enquête a été ouverte par le rectorat.
Durant toute cette journée, les élèves de seconde, de première année de CAP, et des troisièmes « découverte professionnelle » ont assisté à des ateliers de promotion des métiers de la défense. Parmi eux, des présentations de métiers classiques, des expositions historiques… mais aussi un stand de tir au laser avec des répliques de fusils d’assaut. Ou encore un atelier animé par les équipes locales de sécurité pénitentiaire (ELSP) de Fresnes, au cours duquel les élèves étaient invités à se glisser dans la peau de détenus, « pour vivre le quotidien d’un surveillant de pénitencier ».
Selon nos informations, des débordements sérieux ont été commis à cette occasion. Le rectorat de Créteil, questionné sur la situation par Mediapart, a ouvert une enquête administrative.
Pompes et plaquage au sol
« D’abord, les élèves ont été invités à vider leurs poches de leur portable et écouteurs sur une table, comme s’ils entraient en prison, raconte Maëlle, enseignante sollicitée pour encadrer l’atelier. Ensuite, on s’est mis en cercle. “Le quotidien d’un détenu, en prison, c’est de faire du sport. Donc mettez-vous par terre, et faites des pompes”, ont ordonné les ELSP. Une équipière a appuyé sur le dos d’un élève avec sa matraque. Ceux qui ne parvenaient pas à faire les pompes devaient en faire plus. »
Les équipiers de la pénitentiaire ont présenté ensuite leur matériel de protection – casque, protège-tibias, bouclier –, invitant un élève à les enfiler, puis sommant deux autres de donner des coups de matraque, des coups de pied « chassés » et des coups de poing dans le bouclier. « L’objectif était de prouver la puissance des forces de l’ordre », explique Maëlle.
« Alors qu’un élève tapait de toutes ses forces sur le bouclier, les deux équipiers se sont regardés et, par surprise, l’ont plaqué au sol, l’ont menotté face contre terre puis l’ont plaqué au mur comme pour une fouille au corps », continue l’enseignante. Avant de conclure : « À la fin, deux des élèves s’étaient blessés, le bouclier était maculé de sang. »
Une fois l’atelier terminé, Maëlle conduit les élèves rincer leurs plaies en salle des professeur·es. Elle y croise la collègue à l’origine de la journée, par ailleurs présidente de l’Association des professeurs d’histoire-géographie de l’académie de Créteil. En état de choc, Maëlle lui demande de mettre fin à ces ateliers violents.
Alors que sa collègue l’ignore (voir en boîte noire), la professeure s’adresse directement au proviseur du lycée, en lui montrant les vidéos qu’elle a filmées. Il s’engage à demander aux ELSP d’être moins violents. L’enseignante questionne ensuite directement les surveillants pénitentiaires quant à leurs objectifs pédagogiques. Elle raconte : « Ils m’ont expliqué que leur but était de montrer qu’il ne servait à rien de s’opposer aux forces de l’ordre, car ces dernières auraient toujours le dessus. » Questionné sur le comportement de ses agents, le ministère de la justice ne nous a pas répondu.
Professeur de biotechnologie du lycée, Corentin raconte la suite de l’histoire. « Quand Maëlle a essayé de nous alerter, sur l’heure de midi, je n’ai pas trop compris, dit-il. Je n’étais pas prêt à la situation lunaire à laquelle j’ai assisté à 16 heures… » (...)
le garçon disserte, non sans ironie : « C’était bien de tirer dans une cible avec un pistolet laser, ça nous apprend à défendre, à viser, pour représenter la France en cas d’attentat. Après, on est des racailles, madame, donc on va pas dire non à la violence, c’était plutôt cool de se défouler sur eux. C’étaient des sensations sans sanctions. » Son atelier préféré reste celui de la prévention routière, durant lequel il a essayé des lunettes 3D simulant une conscience altérée par le cannabis.
Visite officielle et remerciements
Au lendemain des faits, Maëlle dépose un signalement sur le registre de santé et de sécurité au travail. Corentin, lui, a demandé à être reçu par le proviseur, avec qui il a eu une discussion. « Il y aurait pourtant tant de choses à dire sur le métier de surveillant de prison. C’est aussi un métier humain, de lien avec les détenus. Nous sommes dans un lycée où 80 % des élèves sont des garçons. Toute l’année, on se bat pour qu’ils s’expriment autrement que par la violence. Et là, on leur dit : allez-y, défoulez-vous. »
La pilule est d’autant plus amère que Maëlle est co-référente de la mission de lutte contre le harcèlement scolaire, dont la journée nationale tombait justement le 6 octobre. Les enseignant·es ont dû déplacer leurs activités pour laisser la place à la journée de promotion des métiers de la défense.
L’enseignante à l’origine du rallye citoyen s’est fendue d’un mail à ses collègues : « Grâce à vous, cette journée a été une vraie réussite : les élèves ont beaucoup apprécié les ateliers, l’ambiance, les découvertes […] Ils en redemandent ! » (...)
Saisie par les enseignant·es, Périne De Araujo, secrétaire générale de la CGT Educ’action 94, commente : « Nous sommes en désaccord avec la place croissante prise par les questions de défense dans les programmes et la vie des établissements scolaires, et constatons que l’armée vient recruter dans les établissements des élèves en grande précarité, et de plus en plus tôt. »
Mais le « passage à l’acte » lui semble encore plus choquant. « Il n’y a rien, rien qui justifie qu’on demande aux élèves de taper. » Le syndicat s’est enquis auprès du rectorat des établissements dans lesquels les prochains « rallyes citoyens » seraient désormais programmés.