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Mediapart
L’affaire Depardieu provoque des remous en France et à l’étranger
#Depardieu #corporatisme #viols #agressionssexuelles
Article mis en ligne le 19 décembre 2023
dernière modification le 18 décembre 2023

Après de nouvelles images diffusées par « Complément d’enquête » le 7 décembre, l’affaire Gérard Depardieu suscite débats et réactions en France et à l’étranger, y compris sur la place à accorder désormais à ses œuvres et à ses distinctions passées.

Le 7 décembre, « Complément d’enquête », l’émission de France 2, diffusait des images d’un documentaire de Yann Moix tourné en Corée du Nord en 2018 et jamais sorti. Sur ces rushes (qui font l’objet d’un litige avec l’écrivain, qui a annoncé une plainte pour « vol » à l’égard de son producteur, dont la société a produit ce « Complément d’enquête »), on voit Gérard Depardieu tenir des propos sexuels obscènes, et à connotation raciste, à l’égard de femmes coréennes, dont une petite fille mineure.

Ces images s’ajoutent à d’autres, révélées par Mediapart en avril, qui montraient un comédien joignant le geste à la parole. Embrassant par surprise une maquilleuse sur le tournage des Fugitifs en 1986 ; embrassant et touchant à de multiples reprises Dolores Barreiro, l’animatrice argentine de l’émission « El Rayo », malgré des refus répétés, lors d’une interview à la toute fin des années 1990 ; ou encore traitant une journaliste de « salope » en 2010. (...)

Au-delà des images, il y a les témoignages, concordants. (...)

Puis, en avril 2023, Mediapart révèle les récits de 13 autres femmes – des comédiennes, maquilleuses, techniciennes – qui accusent Depardieu de violences sexuelles, notamment sur le tournage de onze films sortis entre 2004 et 2022. (...)

Et cette même phrase, lorsque certaines se sont plaintes : « Oh ça va, c’est Gérard ! »

Ces récits ont été corroborés par ceux de nombreux témoins directs et confident·es interviewé·es par Mediapart. Trois des 13 femmes ont ensuite témoigné dans notre émission. Trois mois plus tard, France Inter publiait deux nouveaux témoignages similaires (...)

Bien au-delà du comédien, l’affaire dessine une complaisance très française à l’égard des icônes accusées de violences sexuelles.

Après nos révélations, la justice s’est emparée de nos témoignages (plusieurs femmes et témoins ont été auditionnés dans l’enquête en cours), le comédien a été écarté de la promotion de son dernier film, Umami, et ses spectacles de reprises des chansons de Barbara ont été perturbés par des manifestations féministes (...)

Le « silence assourdissant » du cinéma français

Mais le monde du cinéma, lui, est resté silencieux. À l’exception de la Société des réalisatrices et réalisateurs de films (SRF) et de l’actrice Andréa Bescond, qui ont apporté leur soutien aux femmes ayant témoigné, aucune instance représentative de la profession et aucune figure du milieu n’a réagi. Loin du soutien massif apporté à l’actrice Adèle Haenel lorsqu’elle avait dénoncé, dans Mediapart, des violences sexuelles qu’elle aurait subies lorsqu’elle était mineure.

Certains cinéastes et producteurs ont même estimé dans Le Parisien que ni la mise en examen pour « viols » de Depardieu, ni les nombreux témoignages révélés par Mediapart ne changeaient la donne : ils feraient à nouveau tourner l’acteur si l’occasion se présentait.

Ce « silence assourdissant » de la profession à l’égard des accusations portées par 16 femmes a été dénoncé par l’actrice Anouk Grinberg dans le magazine Elle, en octobre. (...)

La réaction du camp Depardieu

Lors de notre enquête, Gérard Depardieu n’avait pas souhaité nous accorder d’entretien, ni répondre à nos questions précises. Par l’intermédiaire de ses avocats, il avait simplement démenti « formellement l’ensemble des accusations susceptibles de relever de la loi pénale ».

Le 1er octobre, l’acteur est sorti du silence. Dans une lettre ouverte publiée dans Le Figaro, il a dénoncé un « lynchage » orchestré par le « tribunal médiatique ». « Jamais au grand jamais je n’ai abusé d’une femme », a-t-il assuré, se décrivant en homme « provoquant, débordant, parfois grossier ». (...)

Le lendemain, son agent a indiqué que, dans ce « contexte », il « n’accept[ait] [plus] aucun projet ».

Les images diffusées par « Complément d’enquête » le 7 décembre, par le grand émoi qu’elles ont suscité, ont poussé le camp Depardieu à s’exprimer davantage. (...)

Ils ont contesté tout « harcèlement sexuel » dans ces rushes et assuré que le comédien n’était « pas quelqu’un qui fait du mal, qui humilie ».

Ce dimanche, au tour de la famille du comédien de prendre la parole. Dans une tribune publiée dans Le Journal du dimanche et cosignée notamment par son ex-femme, Élisabeth, et sa fille, l’actrice Julie Depardieu, ses proches reconnaissent être « souvent choqués par les propos de Gérard », mais ils dénoncent « une cabale inédite » et une « manipulation monstrueuse pratiquée par un journaliste [de Complément d’enquête] qui n’a pas hésité à fouiller dans les poubelles ». (...)

Pour l’entourage du comédien, les images seraient sorties de leur contexte (...)

La famille de l’acteur reproche aussi à l’émission la scène dans laquelle on voit Depardieu lancer, concernant une petite fille (...)

Les œuvres et distinctions de l’acteur au cœur des débats

Les images de France 2 ont eu des conséquences concrètes. Le Québec et la Belgique ont retiré des distinctions décernées à l’acteur (l’Ordre national du Québec et le titre de citoyen d’honneur de la commune belge d’Estaimpuis).

En France, la ministre de la culture, Rima Abdul Malak, a déclaré, le 15 décembre, qu’un conseil de l’Ordre de la Légion d’honneur se réunirait prochainement pour « engager une procédure disciplinaire » et décider si la Légion d’honneur attribuée à Gérard Depardieu par Jacques Chirac en 1996 devait « être suspendue ou pas, retirée complètement ou pas ».

Le lendemain, les avocats de l’acteur ont fait savoir que celui-ci mettait sa distinction « à la disposition de la ministre ». Dans leur communiqué, les deux pénalistes s’interrogent sur la démarche de la ministre, se demandant si elle ne porte « pas ainsi un coup supplémentaire à une présomption d’innocence déjà agonisante ». (...)

Sur BFMTV, la ministre de la culture a estimé qu’il ne lui revenait pas « de donner des consignes » aux réalisateurs, mais elle a déclaré que l’attitude de l’acteur sur ces images était « irrespectueuse et indigne » et qu’elle faisait « honte à la France, parce que c’est un monument du cinéma dans le monde entier ». (...)

À France Télévisions, le directeur du cinéma et du développement international, Manuel Alduy, a assumé le choix du service public de ne plus « célébrer » l’acteur, tout en ne censurant pas les films dans lesquels il a joué. (...)

Preuve de l’absence de censure, Illusions perdues (2021) de Xavier Giannoli, dans lequel Depardieu tient un second rôle, sera par exemple diffusé sur France 2 dimanche 17 décembre. Le Dernier Métro (1980) devrait aussi être diffusé prochainement.
De nouvelles accusations

Parallèlement, les témoignages continuent d’affluer. (...)

L’enquête pour « viols » et « agressions sexuelles » visant Gérard Depardieu est toujours en cours. Si Gérard Depardieu est mis en examen, il conteste les faits et il bénéficie de la présomption d’innocence.