
La Commission européenne veut réviser la directive "retour" de 2008, au cœur de la politique migratoire de l’Union européenne (UE). L’un des points les plus controversés ? La possibilité de transférer des migrants vers des centres situés hors d’Europe. Un projet jugé inhumain, coûteux et juridiquement flou par de nombreuses ONG, dont Amnesty International, qui tirent la sonnette d’alarme.
Le 11 mars 2025, la Commission européenne a présenté une révision de la directive "retour". Mise en place en 2008, cette dernière fixe le cadre légal des expulsions des personnes étrangères en situation irrégulière dans l’Union européenne et vise à harmoniser les pratiques des États membres. Mais cette nouvelle version, portée par une volonté de durcissement, suscite de nombreuses controverses, en raison de la possibilité d’une externalisation du traitement des réfugiés.
"Le droit européen permettrait, pour la première fois, de transférer de force une personne non pas vers son pays d’origine ou de transit, mais vers un pays où elle n’est jamais allée auparavant, un pays avec lequel elle n’a peut-être aucun lien", dénonce Olivia Sundberg, responsable du programme asile et migrations au bureau européen d’Amnesty International. Une mesure qui s’inspire quelque peu des accords entre le Royaume-Uni et le Rwanda ou entre l’Italie et l’Albanie.
L’avocate critique également ce qu’elle trouve être une proposition plus politique que stratégique (...)
De son côté, Amnesty International regrette également l’absence de consultation d’experts et de groupes de réflexion.
La crainte d’une violation des droits humains
Pour Tania Racho, chercheuse en droit européen, chargée de projet pour Désinfox-Migrations, cette décision a été prise par l’Union européenne dans l’objectif de "visibiliser les actions aux frontières extérieures pour rassurer les États membres. (...)
Attendre d’une personne qu’elle reste dans un pays, alors qu’elle ne parle pas la langue, n’a pas de famille et n’a aucune raison d’y être, ce n’est pas possible, à moins qu’elle soit détenue", selon Olivia Sundberg, qui craint une violation des droits humains. (...)
Car la proposition de révision de la directive retour ne fixe pas de durée maximale claire pour la rétention dans ces centres de retour dans des pays tiers. Cela ouvre la porte à des situations de rétention potentiellement illimitées, en violation des principes du droit international qui imposent que la détention liée à la migration soit "exceptionnelle, proportionnée et d’une durée aussi brève que possible".
Si, selon la Commission européenne, un suivi sera assuré, plusieurs ONG craignent qu’en pratique l’UE n’ait ni la volonté, ni la compétence, ni les outils nécessaires pour surveiller avec rigueur les conditions de rétention dans ces pays tiers. Cela ouvrirait la voie à un large éventail de violations. (...)
On peut imaginer ce que cela pourrait donner à l’extérieur des frontières de l’Union européenne", craint Diane Fogelman, chargée de plaidoyer sur les questions d’immigration pour Amnesty International. Cette dernière évoquant un rapport de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers (Anafé) sur le non-respect des conditions sanitaires dans la Zone d’attente pour personnes en instance (ZAPI) de Roissy.
Un projet coûteux aux contours encore flous (...)
Ce projet, qui fait écho aux projets du Royaume-Uni avec le Rwanda ou de l’Italie avec l’Albanie, pose d’autant plus d’interrogations que ces deux projets ont été bloqués par les tribunaux. (...)
Selon Amnesty International, la position française est marquée par une volonté de garder le contrôle sur ses propres critères de protection et est fermement opposée à cette reconnaissance mutuelle. La France a également indiqué ne pas être intéressée par la mise en œuvre de l’externalisation des aides au retour. "Il faut savoir que la Constitution française impose un lien de rattachement entre la personne expulsée et le pays de renvoi. Si un étranger est expulsé depuis la France vers un pays tiers dont il n’a aucun lien, c’est inconstitutionnel", explique Diane Fogelman. D’autres pays comme l’Espagne, l’Irlande, le Luxembourg ou le Portugal ont exprimé leurs réserves.
Au-delà des aspects logistiques et financiers, c’est la portée symbolique et juridique de ce tournant qui inquiète les ONG. "La politique migratoire cesse d’être une question migratoire et devient une question d’État de droit", conclut Olivia Sundberg. Pour Amnesty, la seule alternative viable passe par le développement de programmes de retour volontaire et la fin de la rétention systématique.