
Ça faisait longtemps qu’on s’était pas foutus sur la gueule à propos du voile, hein ? Ça manquait, non ? Les débats incluant le petit avis éclairé de Nicolas Dupont-Aignan sur le corps des femmes et leur liberté d’en jouir et de se vêtir comme elles le veulent ? C’était un peu triste tout de même que l’absence de polémique sur le voile ou le burkini, ou n’importe quelle étoffe mal placée ait mécaniquement mis la porte-parole de Les Républicains Lydia Guirous au chômage technique ?
Bref. On en est encore là.
À supporter les chouineries du Printemps républicain toujours prompt à dégainer des photos sépia de femmes iraniennes dévoilées dans les années 1980 ou le #PointKamelDaoud. À assister aux micros collés sous le nez de n’importe quelle personnalité politique pour lui soutirer son avis sur le voile, l’islam, le féminisme l’islamisme.
Ce mardi 26 février donc, la commercialisation d’un hijab de running a accaparé la quasi-totalité de l’espace médiatique. Notez que c’est toujours ça que les reportages sur les charolaises du Salon de l’agriculture n’auront pas. Mais cette journée de polémiques, de réactions et de tweets indignés n’en est pas moins profondément déprimante et vaine.
L’alibi si seyant du féminisme
Ainsi donc, le fait que Decathlon annonce vouloir commercialiser un « hijab de course » pour « rendre la pratique du sport plus accessible » a permis de cocher en vingt-quatre heures toutes les cases du bingo : « communautarisme », « islamisme », « soumission », « Arabie saoudite ». Et ce, tous bords politiques confondus. S’il peut y avoir convergence des luttes, le voile est l’un des rares sujets à pouvoir assoir à la même table des personnes pourtant supposément idéologiquement éloignées. Valérie Rabault (PS), Nicolas Dupont-Aignant (Debout la France), Aurore Bergé (LREM) vont ainsi conjointement se pincer le nez à l’idée qu’une enseigne commercialise un produit spécifiquement destiné aux femmes pratiquant ET l’islam ET le running.
Avec à chaque fois, l’alibi si seyant du féminisme. C’est pas qu’on a un problème avec l’islam, on veut juste que les femmes soient libres de s’habiller comme elles le veulent… enfin, comme on veut nous… Marianne, à poil !
C’est fou, tout simplement fou, en 2019 que l’on en soit encore à devoir souligner cette absurdité. De mettre en vain le nez des anti-voile primaires dans leurs contradictions. Alors que l’hypocrisie et la bêtise du raisonnement sautent aux yeux.
Qu’allons-nous faire ? Soumettre chaque femme voilée à un interrogatoire en bonne et due forme pour tenter de savoir si elle est suffisamment libre à nos yeux ? (...)
Délire paranoïaque
Si les polémiques autour du voile se suivent et se ressemblent, l’affaire du hijab Decathlon a néanmoins le mérite et l’originalité de révéler une autre contradiction contenue par le discours des forcenés de l’anti-voile. L’un des arguments régulièrement brandi par celles et ceux qui veulent purement et simplement l’escamoter de l’espace public (et ce alors que la loi n’interdit pas le port du hijab) consiste à dire que les femmes voilées se soustraient de la société. Que le hijab les détermine et les enferme à ce point qu’elles ne peuvent s’intégrer à la collectivité. Et c’est généralement là que surgit quelqu’un pour dire que « quand même, si c’est pas malheureux ces jeunes collégiennes ou lycéennes qui sèchent la piscine ou l’EPS parce que ça colle pas avec la pratique de leur religion ».
Disons-le tout de go : oui, c’est triste et con. Et dommage. Pour les principales intéressées d’abord. La pratique d’une religion ne devrait en aucun cas empêcher un enfant de suivre un enseignement de l’école de la République. Les parents qui forcent leurs filles à déserter les deux heures de natation hebdomadaires parce que ça suppose de se délester de leur voile et d’être en maillot de bain sont impardonnables.
Mais le hijab Decathlon n’a rien à voir avec les dissidents de la laïcité et les parents Thénardier sauce salafiste. Il n’impose rien. Il propose. Il accommode. Il permet aux femmes voilées qui pratiquent le running d’avoir un voile adapté aux conditions de l’exercice du sport.
Il faut savoir ce que vous voulez : des musulmanes qui font tout comme vous ou des musulmanes qui s’effacent et que vous pourrez alors plaindre à loisir (...)
La réaction face à ce hijab de sport a ceci de commun avec celle observée dans le camp de la Manif pour tous. On observe le même délire paranoïaque chez les personnes qui estiment que le mariage pour tous va les priver de quelque chose, qu’une norme sociale (le mariage entre hétérosexuels) va être remplacée par une autre (le mariage entre homosexuels), que l’ouverture de droits va en abolir d’autres. (...)
C’est surtout presque comique de constater que les personnes qui désignaient le voile comme une obstruction à la pratique de loisirs et donc à la jouissance sont les mêmes qui s’indignent de la possibilité offerte à ces femmes de conjuguer pratique de la religion et du sport, ou de n’importe quelle activité liée au corps. Un peu comme les gens qui suspectent les parents musulmans de se tenir à la marge de la vie scolaire MAIS qui empêchent les mamans voilées d’accompagner les sorties (...)
Ce que je sais, c’est que personne ne s’est jamais plaint ou ému du voile couvrant la tête d’une femme faisant le ménage dans les tours de La Défense ou changeant les couches d’enfants qui ne sont pas les leurs (« ma nounou, Yasmina, c’est une PERLE »). Mais un tissu qui absorbe l’humidité sur le même crâne de la même femme qui veut juste pas suer sous son foulard en synthétique, et c’est la laïcité qui est en danger.