
Sur X, des bénévoles anonymes géolocalisent et vérifient des vidéos de conflits en Ukraine et à Gaza. Sans leur travail, certaines enquêtes des plus grandes rédactions ne pourraient pas voir le jour.
Chaque soir, après les cours, Paul* consacre deux à trois heures à géolocaliser des images provenant de la bande de Gaza publiées sur les réseaux sociaux. Depuis l’attaque terroriste du Hamas le 7 octobre 2023 et la réplique dévastatrice perpétrée par Israël dans l’enclave palestinienne, des milliers de vidéos circulent en ligne, certaines fausses ou déformées à des fins de propagande. Géolocaliser ces images est donc une première étape essentielle dans le processus de vérification.
Lorsque Paul repère l’endroit exact où a été prise une image, il s’empresse d’en noter les coordonnées GPS et d’effectuer des captures d’écrans des images satellites. Il publie ensuite le tout sur son compte X, scruté par les journalistes des plus grandes rédactions. La BBC, Le Monde, France 24, Haaretz ou l’ONG Human Rights Watch utilisent notamment son travail pour leurs enquêtes et rapports. (...)
« Tout le monde peut participer »
Connu par les journalistes sous son pseudo X Anno Nemo, l’étudiant préfère rester anonyme : « Internet peut être très toxique, surtout concernant la situation en Palestine qui est très polarisée », confie-t-il. Comme lui, plusieurs dizaines d’utilisateurs en ligne anonymes effectuent quotidiennement et bénévolement ce travail de géolocalisation. Lorsqu’ils publient une image vérifiée sur leurs réseaux sociaux, certains mentionnent le compte de la plateforme Geoconfirmed. Suivie par plus de 200 000 personnes sur X, celle-ci centralise les contenus vérifiés en les partageant et en les répertoriant sur une carte interactive disponible sur son site. (...)
Le fonctionnement est simple : « Tout le monde peut participer. Il suffit de taguer Geoconfirmed avec une preuve d’une localisation établie d’images liées à un conflit, et elle sera ajoutée à la carte si la géolocalisation est correcte », résume-t-il. Selon lui, une centaine de bénévoles participent à la vérification d’images : « Certains sont très actifs, d’autres moins. » Ceux-ci auraient déjà géolocalisé environ 60 000 images ou vidéos, tous conflits confondus.
Pendant la nuit ou les heures de travail (...)
Pour y parvenir, ces bénévoles suivent une méthode rigoureuse. « J’essaye toujours d’utiliser d’abord les rapports textuels. Beaucoup d’attaques à Gaza sont décrites dès les premières minutes avec des noms de rues ou la mention d’une mosquée proche. Ça me donne une zone générale à explorer », détaille Anno Nemo. Ensuite, l’étudiant cherche les détails de la vidéo qui pourraient apparaître sur les images satellites : des panneaux solaires, un bâtiment avec une forme particulière, ou une couleur originale… « Si je repère un de ces détails sur l’image satellite, je zoome, puis je vérifie si d’autres détails correspondent. C’est ce processus d’élimination qui me permet de confirmer la localisation », affirme-t-il.
Un travail « indispensable »
Le 13 mai 2025, après avoir bombardé la zone de l’hôpital européen à Khan Younès dans la bande de Gaza, l’armée israélienne a publié des images censées montrer une infrastructure souterraine gérée par le Hamas. Quelques heures plus tard, Anno Nemo a pu prouver que les images montraient en réalité une école, située à plusieurs dizaines de mètres du centre de soins. Une information reprise notamment par la rédaction des « Observateurs » de France 24. « Pour nous, journalistes, c’est un travail de fourmi qui est indispensable, note Nathan Gallo, journaliste aux « Observateurs ». C’est essentiel pour apporter du factuel dans des conflits comme Gaza où il y a une impossibilité pour les journalistes occidentaux d’aller sur place, une impossibilité de vérifier par nous-mêmes ces images sur le terrain. » Cette absence de terrain amène de nombreux journalistes à se tourner vers l’Osint (open source intelligence, ou renseignement en sources ouvertes), méthode selon laquelle la géolocalisation des images est indispensable. (...)
Le travail de ces bénévoles anonymes est d’autant plus précieux que les rédactions manquent de temps et de moyens pour tout vérifier elles-mêmes. (...)
Rester critique
Ces géolocalisations restent « une petite partie du travail », tempère Nathan Gallo. Il faut comprendre qui est à l’origine de la vidéo, savoir à quel moment elle a été prise, recontextualiser ce qu’elle montre, trouver des témoins… « C’est là où on prend le relais en tant que journalistes. » Ces « osinters » permettent également aux rédactions de repérer des sujets. « Ils font remonter des images qu’on n’aurait peut-être pas vu passer », relève Poline Tchoubar. (...)
Des ONG comme Human Rights Watch reprennent également le travail de ces bénévoles. « Récemment, nous avons publié un rapport sur les frappes iraniennes en Israël, et la majorité des vidéos avaient déjà été géolocalisées par Geoconfirmed, ce qui prémâche énormément le travail, même si nous revérifions à chaque fois toutes les géolocalisations », raconte Léo Martine, expert en analyse géospatiale pour l’ONG. Il reste cependant critique sur les analyses que publie parfois le compte Geoconfirmed. (...)