Une nouvelle étape a été franchie au cours de la semaine du 10 novembre 2025, cette fois sur le plan judiciaire, dans la querelle qui oppose ces entreprises de service public aux médias du groupe Bolloré. L’avocate Lorraine Gay nous éclaire sur la portée de cette initiative.
La justice tranchera. France Télévisions et Radio France ont, au cours de la semaine du 10 novembre 2025, assigné en dénigrement CNews, Europe 1 et Le JDD, marquant une nouvelle étape de tension entre d’un côté Radio France et France Télévisions et, de l’autre, la galaxie des médias Bolloré.
Rappel des épisodes précédents : en septembre, la discorde s’était cristallisée autour de ce que les médias appellent désormais « l’affaire Legrand-Cohen ». Le volume de commentaires diffusés sur CNews et Europe 1, à la suite de cette affaire, avait poussé la direction de France Télévisions à monter au créneau. Dans une interview au Monde, Delphine Ernotte avait déclaré : « La galaxie médiatique de Vincent Bolloré veut la peau de l’audiovisuel public. » Les deux entités du service public avaient ensuite saisi l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, afin de dénoncer « une campagne de dénigrement ». Serge Nedjar répliquait fin septembre dans Le Figaro : « CNews, ses présentateurs et ses journalistes sont caricaturés à longueur d’émissions. Si démarche politique il y a, elle vient surtout du service public. »
Lorraine Gay, avocate au barreau de Paris et membre du conseil d’administration de l’Association des avocats praticiens du droit de la presse, a répondu aux questions de La Revue des médias sur la nouvelle étape de ce conflit (...)
C’est une escalade. Les médias Bolloré s’en prennent régulièrement au service public. Récemment, ce qui a été qualifié d’« affaire Legrand-Cohen » et le traitement qui en a été fait par les médias Bolloré en un est exemple typique. Et puis il y a un côté assez populiste de la part des médias Bolloré qui affirment que cette « presse de gauche » est financée par les impôts des Français. Et comme la galaxie Bolloré fonctionne en circuit fermé : ce qui est dit sur CNews se retrouve aussi sur Europe 1 puis dans Le JDD. Ces médias ont une puissance de frappe assez considérable.
Cela intervient aussi sur fond d’un possible remaniement de l’audiovisuel public, par la volonté de Rachida Dati de tout centraliser.
Qu’est-ce que le « dénigrement » ?
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Quelle peut être la portée d’une telle décision de justice ?
Pour l’instant, c’est difficile à dire puisque c’est la première fois que cela arrive. Mais l’on peut imaginer que si le juge donne raison aux médias Bolloré, cela va leur donner un totem d’immunité énorme. Dans le cas contraire, CNews, Europe 1 et Le JDD devraient verser des dommages et intérêts à France Télévisions et Radio France. Si un tel scénario se produit, il est probable que ces médias crient au complot et dénoncent la République des juges.
Selon vous, cette assignation marque-t-elle un tournant dans l’audiovisuel français ?
Je trouve que cela interpelle car ça s’inscrit dans un paysage audiovisuel qui est déjà en danger. Si par ailleurs les médias se font la guerre et en font de l’information, c’est encore plus inquiétant. Ce qui transparaît aussi dans cette procédure en dénigrement, c’est aussi, peut-être, une polarisation toujours plus forte de la société.
Il serait intéressant que l’Arcom intervienne dans ce genre de cas. Mais l’Arcom, à qui on a rajouté le domaine d’Internet, n’est manifestement pas armée.