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club de Mediapart/ Pierre Alonso, Reporter en Ukraine pour Mediapart, Le Temps, Le Parisien
Hommage à Anton
#guerreenUkraine #journalistes
Article mis en ligne le 20 novembre 2025
dernière modification le 17 novembre 2025

Anton était traducteur et fixeur. Pendant un an et demi, il m’a aidé pour presque tous mes articles. Il a été tué en septembre. J’ai perdu un ami, l’Ukraine un combattant et un fragment infime mais si brillant de son futur. Il aimait infiniment son pays, qu’il a servi jusqu’à sa mort, à 26 ans et un mois.

Anton est porté disparu. Le mois dernier, une collègue m’a envoyé ce message. Anton est porté disparu, je savais que ça n’annonçait rien de bon.

Anton est la personne avec qui j’ai travaillé ici en Ukraine entre début 2023 et la fin de l’été 2024, notamment pour Mediapart. Il était traducteur et fixeur – on dit parfois local producer mais lui n’accordait aucune important au titre, fixeur lui allait bien. Pendant un an et demi, il m’a aidé pour presque tous mes articles. Je lui parlais d’un sujet, on en discutait, il cherchait des contacts, puis on partait ensemble. Pendant les interviews, je posais les questions, il traduisait. Parfois il posait aussi des questions et plus le temps passait, plus elles étaient justes.

A la fin de l’été 2024, Anton a décidé de rejoindre l’armée. Il venait d’avoir 25 ans, la vraie majorité dans l’Ukraine en guerre : à partir de ce jour, les hommes peuvent être mobilisés. Anton a pris les devants. Il voulait prendre sa part dans la défense de son pays.

Anton est devenu un soldat, et quand un soldat est porté disparu, ça signifie très souvent qu’il est mort. Anton Bondarenko a été tué au combat le 15 septembre dans la région de Kharkiv. Il avait 26 ans.

J’ai perdu un ami, l’Ukraine un combattant et un fragment infime mais si brillant de son futur. (...)

Anton était un érudit – cette phrase conjuguée au passé est une douleur. Il parlait un anglais teinté d’un fort accent américain mais surtout un français exceptionnel, qu’il cherchait à enrichir en permanence (qui emploie le verbe “babiller” à l’oral ?). Diplômé d’un master en lettres classiques, validé en partie à l’université de Nancy, il était helléniste et latiniste. Au point de parler un mélange de latin et d’espagnol avec les combattants colombiens de sa brigade.

Il avait une culture très classique qu’il partageait sans prétention. Lors d’un départ en reportage vers Soumy, il avait passé une bonne partie du trajet à nous raconter la vie d’Erasme, de Thomas More et d’Henry VIII. Cet habitacle transformé en amphi était infiniment absurde, mais Anton était un collègue fiable, très professionnel, capable de rebasculer instantanément dans notre reportage. Il n’hésitait pas : il décrochait son téléphone, il appelait, il demandait. C’était oui, c’était non, on ne tergiversait pas. (...)