En annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale, le président de la République espère s’imposer de nouveau comme seul rempart face à l’extrême droite. Mais cette stratégie est aujourd’hui usée jusqu’à la corde. Et fait prendre un risque majeur à tout le pays.
C’est le point culminant d’une stratégie dangereuse, patiemment tissée au cours des sept dernières années. Dimanche soir, Emmanuel Macron a répondu à la demande du Rassemblement national (RN), largement arrivé en tête des suffrages exprimés aux européennes, en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections législatives les 30 juin et 7 juillet.
Face à une gauche en mille morceaux et une droite d’opposition réduite à peau de chagrin, le président de la République choisit de nouveau son adversaire. Profitant de la faiblesse des partis républicains, il prend le risque d’offrir une majorité absolue à l’extrême droite et avec elle, les clefs du pouvoir. Sous couvert de barrage, il renforce davantage encore le marchepied qu’il échafaude depuis son premier quinquennat.
« L’extrême droite est à la fois l’appauvrissement des Français et le déclassement de notre pays. Je ne saurais donc, à l’issue de cette journée, faire comme si de rien n’était », a déclaré le chef de l’État à l’issue des résultats. Cela fait pourtant des années qu’il fait comme si de rien n’était. Comme s’il n’avait pas été élu deux fois consécutives face à Marine Le Pen. Comme si le RN était un parti aussi – sinon plus – respectable que les autres. Comme s’il était encore temps de jouer avec le feu. (...)
S’imaginant encore maître du jeu, Emmanuel Macron continue ses coups de poker, au risque d’entraîner tout le monde vers l’abîme. Il le fait en attaquant de nouveau la gauche, à laquelle il impute une part de sa décision. (...)
Un pas de deux mortifère (...)
Cette fois-ci, le président de la République sait à quel point la gauche est désunie. Il sait que le RN, qui s’était déjà qualifié dans plus de 200 circonscriptions au premier tour de 2022, peut espérer de meilleurs résultats encore. C’est là le seul calcul qu’il a fait dimanche soir : rejouer pour la énième fois sa stratégie du « moi ou le chaos ». Dans un délai si court qu’il ne laisse aux autres partis que très peu de temps pour organiser une alternative à ce pas de deux mortifère. (...)
Enfermé dans une présidence de plus en plus solitaire et indifférente aux aspirations citoyennes, Emmanuel Macron a opposé un déni constant aux revendications de la société. Les mots ont été vidés de leur sens. Les coups de menton ont pris le pas sur les convictions. Le confusionnisme, le nivellement par le bas et la malhonnêteté intellectuelle du président de la République et de ses soutiens ont servi de passerelle aux idées qu’ils prétendaient combattre. (...)
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La dissolution annoncée par Emmanuel Macron met les partis de gauche au pied du mur. Alors que les élections européennes les ont divisés, ils n’ont d’autre alternative que l’union s’ils ne veulent pas disparaître au bénéfice de l’extrême droite. (...)
L’annonce d’Emmanuel Macron a bouleversé tous les plans des partis de gauche qui, en faisant le choix d’avancer séparément à ces élections européennes, sont arrivés logiquement après le mouvement d’extrême droite et la majorité présidentielle – Les Écologistes ont même poussé un immense soupir de soulagement en franchissant in extremis la barre des 5 % leur permettant de faire élire des eurodéputé·es.
Les Insoumis ont souligné en début de soirée que « l’après-Macron » avait commencé – avec les 14,5 % de suffrages exprimés en faveur de Valérie Hayer, le pouvoir « n’a plus la légitimité de poursuivre sa politique », a déclaré Manon Aubry, tête de liste de La France insoumise (LFI). Le mouvement se félicite par ailleurs d’avoir amélioré son résultat de 2019 (6,5 %), pour un score à deux chiffres (10 %). Mais ces considérations ont fait long feu après la décision du chef de l’État. Avec la percée inédite du RN, l’éventualité d’une cohabitation avec Marine Le Pen n’a échappé à personne.
François Ruffin appelle à un « front populaire » (...)
la dissolution intervient au pire moment pour la gauche dans son ensemble : après des mois de divisions exacerbées par la campagne des européennes. (...)
La nouvelle page qui s’ouvre est-elle celle d’un nouvel accord d’appareils pour présenter des candidatures uniques à gauche ? La tâche est immense et les tensions de ces dernières semaines n’augurent pas d’un scénario facile – tout va se jouer dans les prochaines heures, alors que l’élection est dans seulement vingt jours. Jean-Luc Mélenchon a rappelé que la Nupes était arrivée en tête du premier tour des législatives de 2022 : « Nous pouvons le gagner de nouveau, si nous sommes capables de comprendre que la France n’attend pas des embrouilles, des bavardages et des alliances qu’on trahit à la première occasion », a-t-il lancé. (...)
Mais le fossé s’est tellement creusé entre LFI et Raphaël Glucksmann, décrit comme le signe d’un « retour du hollandisme », que l’hypothèse d’une nouvelle alliance est improbable. Interrogé sur son souhait de rassembler toute la gauche en front commun contre l’extrême droite, Raphaël Glucksmann a esquivé, sur BFMTV. Insistant sur sa ligne « sans calomnies, ni violence, ni outrances », la tête de liste PS-Place publique a pris en exemple les Pays-Bas où « l’alliance de la social-démocratie et de l’écologie est arrivée en tête contre tous les pronostics », semblant exclure de fait la formation politique de Jean-Luc Mélenchon.
Les victoires de 2022 en sursis
François Ruffin appelle pour sa part plus clairement à un « front populaire », semblant prendre la main sur une démarche rassembleuse : « Insoumis, communistes, socialistes, Écologistes. Unis. Pour éviter le pire, pour gagner. » La balle a été saisie au bond par Benoît Hamon, favorable à ce « front populaire aux législatives ».
Joint par téléphone, le député socialiste Philippe Brun, seul député de gauche de l’Eure, où tous les autres sont membres du RN, enrage de la situation. Il était le seul membre du bureau national du PS à avoir voté pour une liste commune aux européennes : « On a décidé de laisser la victoire au RN, qui fait deux fois notre score. C’était cousu de fil blanc », dit-il. (...)
Il faudra donc que chacun ravale ses amertumes pour résister à l’imposante vague RN qui a déferlé sur le pays aux européennes. Jointe par téléphone, la députée LFI Aurélie Trouvé regrette de « payer les conséquences » du refus de s’unir des autres partis : « Maintenant je dis, il y a deux ans on a fait élire 151 députés sur un programme de rupture, celui de la Nupes, nous avons été élus dessus pour cinq ans, tout le monde doit revenir à la raison à gauche : on se rassemble sur le programme de la Nupes point barre, soyons responsables. » (...)