
En Syrie, en Turquie, en Grèce, en Belgique... Dans chaque pays où il a posé le pied, Karam s’est investi pour les autres. Réfugié syrien à Bruxelles depuis 2015, passé par la route migratoire des Balkans, il s’occupe désormais des migrants secourus par le Geo Barents, le navire humanitaire de Médecins sans frontières. Portrait.
"Welcome my friend, you are safe now" ("Bienvenue mon ami, tu es en sécurité maintenant"). Un par un, les naufragés sont extirpés de leur petit bateau blanc par l’équipe de sauvetage du Geo Barents. À plus de 50 km des côtes libyennes, en pleine mer, la nuit est noire, l’embarcation tangue. Quand ils posent le pied sur le Zodiac de Médecins sans frontières (MSF), la démarche des rescapés est mal assurée. Karam est là pour les guider. Depuis avril 2023, le jeune homme de 31 ans est l’un des médiateurs culturels du navire.
Avec son binôme, c’est lui qui fait le lien entre les naufragés et le reste de l’équipage. Depuis le sauvetage jusqu’au port de débarquement, toutes ses journées sont occupées à prendre soin des migrants à bord. (...)
Né à Damas d’un père palestinien et d’une mère syrienne, il a quitté la Syrie à l’âge de 20 ans. Avant d’en partir définitivement, il a d’abord fui la capitale pour Idlib en 2012, après avoir obtenu son bac. Les arrestations liées à la révolution en cours, et la prison où il a passé plusieurs jours difficiles l’ont convaincu de quitter sa famille. À son arrivée dans le nord de la Syrie, avec un ami, ils créent un café culturel dans le centre-ville. "Il y avait une bibliothèque, on passait des films, c’était un espace de rencontres. Même les personnes âgées venaient. On leur offrait un moment de paix et de calme. Je suis très fière de ça", raconte-t-il en dévoilant un large sourire. (...)
Cette "belle aventure" s’arrête trois mois plus tard. Un matin de 2013, la bibliothèque est incendiée "par les islamistes". Quelques semaines après, le lieu est transformé en cours de justice religieuse. "Le message était clair". En danger à Damas, menacé à Idlib, Karam traverse la frontière turque et s’installe à Ankara. Il y travaille quelques mois avec l’ONG Save the Children, puis déménage à Istanbul pour rejoindre des amis. Là encore, en plus de ses petits boulots dans des restaurants de la ville, il s’investit dans le développement d’un centre culturel. (...)
Le racisme montant en Turquie et la crainte d’être renvoyé en Syrie le poussent alors sur la route migratoire empruntée par des millions de migrants cette année-là, celle des Balkans.
"Traumatisant et humiliant"
Fin 2015, le Syrien part pour l’Europe, avec la Belgique en ligne de mire. Un pays où la loi était "la plus favorable aux réfugiés", selon lui. (...)
"les Grecs se croyaient en opération commando" - son regard s’assombrit quand il en fait le bilan. "C’est peut-être bête, mais je l’ai mal vécu. Un ’pushback’ [refoulement illégal, ndlr], ça te fait perdre ta dignité". Karam prend alors conscience de la difficulté du chemin. "J’ai dû me faire à l’idée que ce serait comme ça : traumatisant et humiliant". (...)
Ils embarquent un matin avec 49 autres personnes sur un petit bateau gonflable, depuis une plage au sud d’Izmir. Le récit de sa traversée est mécanique, rapidement déroulé. "J’avais un gilet de sauvetage, et mes amis me suivaient sur WhatsApp. Des garde-côtes turcs sont venus peu de temps après notre départ et ont fait des vagues autour de nous. Ça bougeait beaucoup. Je leur ai hurlé en turc qu’il y avait des femmes et des enfants. Ils nous ont laissés partir".
Après 1h15 en mer, l’embarcation touche l’île grecque de Lesbos. Des associations attendent le petit groupe. "C’était un peu le chaos quand on est arrivé sur la plage. Les gens étaient perdus, la situation était électrique. Je me suis mis à traduire aux passagers ce que les ONG nous disaient. La tension est retombée d’un coup. Je me suis senti mieux".
"Ces histoires, je les emporte avec moi"
À bord du Geo Barents, la sérénité est comme un mantra pour Karam. C’est lui qui gère l’organisation du barbershop à bord, rase les cheveux et retaille les barbes des exilés, pour leur donner un peu de bien-être. "On le fait la veille du débarquement, ça leur rend leur dignité et leur redonne confiance en eux avant d’entamer leur nouvelle vie". (...)
"Un jour, il y a eu une dispute entre les migrants, ils ne m’entendaient plus. J’ai pris le mégaphone et j’ai hurlé. Je sais comment faire car j’ai été chanteur de black métal. Ça a stoppé tout le monde". (...)
Si le jeune Syrien se reconnaît parfois à travers les récits de certains naufragés, il tient à préciser que son parcours n’est "rien" à côté de "celui des personnes qu’on voit ici". "Les naufragés, ils ont connu la torture, l’esclavage en Libye. Moi, j’ai marché, pris des bus et des bateaux". De Lesbos, Karam a pris un ferry pour la Grèce continentale. Puis a traversé la Macédoine du Nord, la Serbie, la Croatie, la Hongrie, et l’Autriche. Arrivé en Allemagne, il est monté dans un dernier train pour Bruxelles. Où il a obtenu le statut de réfugié deux mois après son arrivée. (...)