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France TV Info
ENQUÊTE FRANCE INFO. La santé dégradée des enfants de l’aide sociale
#enfances #ASE
Article mis en ligne le 12 février 2024
dernière modification le 9 février 2024

La santé des enfants de l’aide sociale est préoccupante. Notre enquête révèle que l’on sédate des adolescents et que des nouveau-nés peuvent rester hospitalisés pendant plusieurs mois, faute de structures pour les accueillir.

Les études scientifiques le montrent : quand un homme croise un ours en forêt, et qu’il est pris de panique, son organisme sécrète du cortisol et de l’adrénaline qui lui seront nécessaires pour combattre l’animal ou pour le fuir. Mais que se passe-t-il s’il croise un ours tous les jours ? C’est à cela que les médecins préoccupés par la santé des enfants victimes de violences répétées, ont voulu répondre. Comment réagit le corps d’un enfant battu qui retrouve son agresseur tous les soirs ? Quelles sont les séquelles des traumatismes infantiles sur l’organisme ? "Les violences et les négligences subies dans l’enfance vont avoir des conséquences sur le système neuro-immuno-endocrino-génétique des adultes", répond Céline Gréco, cheffe du service médecine de la douleur et palliative à l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris (AP-HP) et présidente de l’association Im’Pactes qui vise à promouvoir la santé et la scolarité des enfants placés. Les enfants victimes de violence perdraient jusqu’à 20 ans d’espérance de vie . "Ils vont développer deux fois plus de maladies cardio-vasculaires, de cancers, d’AVC, trois fois plus d’insuffisances respiratoires, 11 fois plus de démences, il y aura 37 fois plus de syndromes dépressifs et de tentatives de suicide...", détaille le Dr Gréco. (...)

plus de la moitié des jeunes en hospitalisation longue durée sont sous protection de l’ASE. "C’est très au-delà de ce à quoi on devrait s’attendre. Cela en dit beaucoup sur leur état" (...)

Des bébés en bonne santé à l’hôpital

Le phénomène concerne d’abord les nouveau-nés, séparés de leurs parents à leur naissance à la suite d’une ordonnance de placement. Au CHU de Nantes, ils sont nombreux mais les places en pouponnière ou en famille d’accueil font parfois défaut. "En attendant de trouver une solution, ils peuvent rester plusieurs semaines ou plusieurs mois dans nos locaux, raconte Cécile Boscher, pédiatre à la maternité. (...)

Ces bébés ne nécessitent pas de soins médicaux spécifiques. Mais, paradoxalement, leur santé peut se dégrader en raison de leur trop longue présence à l’hôpital. Ces dernières années, le CHU a connu des cas de bébés souffrant d’hospitalisme léger. Ce syndrome a été décrit dans les anciens orphelinats des pays de l’Est par le psychanalyste René Spitz. Des nouveau-nés, séparés de leur mère et privés de toute “figure d’attachement”, présentaient des syndromes dépressifs sévères et pouvaient aller jusqu’à se laisser mourir, faute d’affection. Si ces phénomènes extrêmes ne sont plus observés en Europe, l’hospitalisme continue d’inquiéter. (...)

Des structures inadaptées

Les services de pédiatrie des hôpitaux accueillent aussi des enfants et des adolescents placés qui sont en grande détresse psychique. Des jeunes, en état de crise, emmenés en urgence par des éducateurs en manque de solutions. (...)

"Ils vont rester dans les services d’urgences faute de place dans les services de pédiatrie générale. Ils vont aussi rester dans les services de pédiatrie générale faute de place dans les services de pédopsychiatrie. Et ils vont rester dans les services de pédopsychiatrie faute d’établissements adaptés au sein de l’aide sociale à l’enfance, déplore le médecin. Globalement, tout le système est bouché." (...)

Les adolescents de l’aide sociale séjourneraient plus longtemps que les autres dans les services hospitaliers. À tel point que le Pr Guillaume Bronsard a pu déceler chez certains des symptômes qui s’apparentent à de l’hospitalisme. "Ils sont relégués dans des hôpitaux psychiatriques les plus fermés, très étouffants, qui sont totalement inappropriés dès qu’on y passe plus de 15 jours", explique-il. Si des adolescents y restent 18 mois, "c’est uniquement pour leur éviter la rue !", déplore le médecin.

Au service de pédiatrie générale de l’hôpital Necker, les adolescents dits "difficiles" se mélangent aux bébés très malades. La cheffe du service social en pédiatrie générale, Christine de Bernardi, évoque le cas de très jeunes filles, prostituées, dont la prise en charge est extrêmement compliquée. (...)

La sédation comme “solution”

Pour maintenir un calme relatif dans les couloirs du service de pédiatrie, le Pr Martin Chalumeau reconnaît qu’il est contraint de sédater certains enfants, notamment ceux qui présentent des troubles du neurodéveloppement. "En raison d’un défaut de place ailleurs, on va être obligé de les surmédicaliser, regrette-t-il. On ne peut pas les laisser déambuler, crier et jeter des objets." Dans ce cas, des neuroleptiques sont prescrits. (...)

La médication des enfants en dehors de l’hôpital fait aussi débat. (...)

Dans certains départements, le délai d’attente pour un rendez-vous en centre médico-psychologique (CMP) peut atteindre trois ans. À l’hôpital Necker-Enfants malades, il arrive que le service social de pédiatrie appelle des CMP en province pour trouver une place à un jeune qui nécessite une prise en charge.

Des soins du quotidien non assurés (...)

Au CHU de Nantes, les pédiatres voient tous les jours passer des enfants de l’ASE "moins bien suivis que ceux de la population générale". (...)

Pour remédier à cela, le CHU de Nantes a mis en place un dispositif prometteur, “Santé protégée” , qui devrait être généralisé. Il vise à coordonner le parcours de soins des enfants de l’ASE. "Notre rôle n’est pas de prendre des rendez-vous ou de trouver le bon docteur, mais il est de mettre en place un système où les adultes qui s’occupent de ces enfants pourront le faire", précise Christèle Gras-Le Guen. Les médecins généralistes associés à ce programme verront le tarif de leur consultation revalorisé.

On s’improvise orthophoniste (...)

Le tarif des consultations dans le privé est aussi un frein pour les Conseils départementaux qui financent l’aide sociale à l’enfance. (...)

En mars 2022, la loi Taquet – du nom de l’ancien secrétaire d’État à l’enfance – est venue rappeler qu’un bilan d’entrée et un suivi annuel étaient obligatoires pour chaque enfant suivi par l’Aide sociale . Mais seuls un tiers des départements parviendraient à respecter cette loi en matière de santé. (...)

Dordogne. Si le budget de son département alloué à l’aide sociale a doublé en quatre ans, les structures de l’ASE restent saturées, et les enfants ne peuvent pas être correctement pris en charge. Le taux d’occupation dans les foyers atteint les 140%. L’élue espère une aide plus importante de l’État, notamment pour les enfants handicapés. (...)

Une sortie brutale de l’enfance

Le sort des jeunes de l’ASE en fin de parcours n’est parfois pas plus enviable. Coupée de sa famille, Claire a passé une bonne partie de sa vie à l’hôpital, en pédiatrie. Elle souffre d’une maladie chronique du système digestif. À l’hôpital auprès des infirmières, elle s’est sentie mieux qu’à la maison. "On s’occupe très bien de nous, on est toujours très cajolés”, raconte-t-elle avec une pointe de nostalgie. Mais à 17 ans, on lui explique qu’elle n’a plus sa place en pédiatrie. Elle se retrouve à la rue et frappe alors à la porte de l’ASE. Un parcours du combattant commence. (...)

Les souffrances non traitées de l’enfance n’ont pas qu’un coût humain. Elles constituent aussi une perte financière pour les caisses de l’État. En 2023, dans un rapport intitulé “Le coût du déni”, la Ciivise (Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants) a chiffré à 9,7 milliards d’euros le coût annuel, en France, de la mauvaise prise en charge des traumas des victimes d’inceste et d’abus. (...)

Dans son chiffrage, la Ciivise n’a cependant pris en compte “que” les enfants victimes de violences sexuelles. Selon une étude publiée dans la célèbre revue scientifique britannique The Lancet, le coût global de la mauvaise prise en charge des enfants victimes de violence serait en réalité beaucoup plus élevé. Il serait de l’ordre de 38 milliards de dollars pour un pays comme la France.