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Mediapart
En radiologie, la finance fait du profit sur le dos de l’assurance-maladie
#radiologie #assurancemaladie #investissements #sante
Article mis en ligne le 17 décembre 2024
dernière modification le 15 décembre 2024

Il est souvent reproché aux jeunes médecins par leurs aîné·es de ne pas s’investir assez et de donner la priorité à leur vie privée. En radiologie libérale, une critique bien plus sévère est portée par les jeunes médecins contre leurs collègues en fin de carrière : choisir de toucher un pactole plutôt que de transmettre leurs cabinets. Contre plusieurs millions d’euros, des radiologues acceptent en effet de faire entrer des fonds d’investissement financiers au capital de groupes de médecins jusque-là indépendants.

Les fonds d’investissement dans le secteur sont souvent d’ampleur mondiale ou européenne (...)

En 2023, la Caisse nationale d’assurance-maladie (Cnam) alertait déjà sur l’arrivée d’« acteurs financiers dans l’offre de soins » en radiologie. Tout en avouant d’emblée une forme d’impuissance : la Cnam a des difficultés à appréhender la part que représentent ces fonds, car elle ne dispose pas « de données fines et à jour concernant la structure juridique et capitalistique de sociétés ou groupes de sociétés parfois complexes et de tailles très diverses ».

Elle a cependant bien identifié « l’intérêt à agir des acteurs financiers » : « la recherche d’un retour sur investissement rapide, avec la réalisation d’acquisitions importantes, la mise en œuvre de restructurations permettant d’améliorer la rentabilité des organisations, et la cession à meilleur prix, sur des cycles assez courts de quelques années ».

Un maximum de dividendes en un minimum de temps (...)

Les fonds s’endettent lourdement pour racheter des groupes de radiologie indépendants, ponctionnent des dividendes pour rembourser l’emprunt, avant de revendre au meilleur prix à un nouveau fonds qui emploiera la même méthode. Dans cette mécanique financière, l’exigence d’une hausse de la rentabilité est perpétuelle.

La radiologie a de multiples attraits pour les financiers : c’est un placement sûr, car financé par l’assurance-maladie, et un secteur économique en pleine effervescence (...)

« Et dans les années à venir, l’activité va exploser, prédit le docteur Ritvo, membre du Collectif pour une radiologie indépendante et libre (Corail), qui regroupe de nombreux et nombreuses jeunes radiologues, mais aussi des séniors, qui ferraillent contre la financiarisation en cours. Les fonds d’investissement ne peuvent pas mettre la main sur la radiologie. Les médecins doivent rester maîtres de leur outil de travail. »

« De nombreux défenseurs de ces fonds expliquent que les radiologues ont besoin de leur argent pour investir dans un matériel très cher, analyse Laurent Grosclaude, enseignant-chercheur en droit des affaires à l’université Toulouse-Capitole, spécialisé dans la financiarisation des professions libérales. En réalité, les banques suivent toujours les radiologues libéraux quand ils souhaitent investir dans du nouveau matériel, tant la spécialité est rentable et sûre. C’est d’ailleurs pour cela que les fonds investissent. » (...)

La loi devrait empêcher toute prise de contrôle d’une société d’exercice libéral de médecins par des acteurs privés non professionnels : ceux-ci ne peuvent entrer au capital qu’à hauteur de 25 % maximum. Mais les fonds d’investissement sont parvenus à contourner cette règle. (...)

Finalement, dans de tels montages, « les médecins ne peuvent rien décider sans l’accord des financiers », estime Laurent Grosclaude. (...)

Le Code de déontologie médicale dispose pourtant, dans son article 5, qu’un médecin « ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit ». Garant de la déontologie, l’ordre des médecins doit valider tout rachat d’une société médicale, à partir des documents qui lui sont transmis. Mais il n’a connaissance que de la répartition des actions ordinaires, qui restent dans les clous de la loi. Il n’a pas connaissance de la répartition des actions de préférence, qui ouvrent des droits financiers détaillés dans des pactes secrets d’actionnaires.

Une ordonnance ministérielle du 8 février 2023, toujours en attente d’application, devrait permettre à l’ordre d’être informé de la détention des différentes actions. Mais de nombreux acteurs expliquent que cette ordonnance a été vidée de toute substance (...)

Une partie de l’argent évaporée

En définitive, pour les Françaises et les Français, cela revient à voir s’évaporer en dividendes, vers des fonds d’investissement, une partie de l’argent dédié à leur santé, issu de leurs cotisations sociales et de leurs impôts. (...)

l’assurance-maladie identifie plusieurs risques de dérives : « une augmentation des dépenses [de radiologie], liée aux logiques des acteurs financiers au détriment des dépenses publiques et enfin une sélection des patients, au détriment des cas les plus “lourds” et/ou les moins solvables ». (...)

Course à l’acte

Cette sélection des actes les plus rentables est déjà effective, selon le radiologue Christophe Tafani, membre du Conseil national de l’ordre des médecins. Il a assuré en avril devant la mission d’information du Sénat que la financiarisation pose déjà « des problèmes de santé publique » (...)

En avril dernier, l’ordre dénonçait les « dérives actuelles avec des financiers qui entrent au capital des sociétés d’exercice libéral, en détiennent le contrôle effectif, remettent en cause l’indépendance professionnelle [des médecins] et orientent leur activité avec la lucrativité pour seule finalité, au détriment de la santé publique ».

L’ordre reconnaissait que ses efforts pour « endiguer ce processus ne ser[aient] pas suffisants face à la complexité et à l’opacité des montages proposés » et demandait au législateur d’interdire la participation de tiers non professionnels dans les sociétés d’exercice libéral, comme les cabinets de radiologie, y compris de manière rétroactive.

Dans le Rhône, le conseil départemental de l’ordre a voulu radier la société Imapôle, qui refusait de modifier ses statuts et sa structure juridique afin de garantir l’indépendance des médecins. Mais l’ordre s’est fait retoquer par le Conseil d’État pour vice de forme. Des conseillers ordinaux l’admettent : ils sont démunis face à ces fonds d’investissement et à leurs cabinets d’avocats.

Les pouvoirs publics se penchent eux aussi sur le sujet. Après l’assurance-maladie, des groupes de travail ont été créés aux ministères de la santé et de l’économie. Mais la réflexion en cours ne semble pas s’orienter vers une régulation stricte, telle que réclamée par l’ordre (...)