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Mediapart
Elnet, un agent d’influence pro-Israël au cœur de l’Assemblée nationale
#Israel #Elnet #AssembleeNationale
Article mis en ligne le 1er janvier 2025
dernière modification le 30 décembre 2024

Depuis 2017, ce lobby a envoyé, tout frais payés, une centaine de parlementaires en Israël. Son PDG revendique avoir fait « plus que [sa] part » dans le soutien de « l’immense majorité » du parlement français à l’égard de l’État hébreu depuis le 7-Octobre.

(...) Au fil des années, ces images de députés et de sénateurs français sont venues par dizaines abonder le site Internet d’Elnet – pour « European Leadership Network » –, une association bien connue de la plupart des parlementaires qui reçoivent régulièrement ses mails les invitant à des voyages en Israël.

Sur le papier, ces séjours, intégralement financés par Elnet – il faut compter 4 000 euros pour quatre jours, hôtel et trajet en avion compris –, ont de quoi attirer les élus : ils proposent des rencontres « de haut niveau » avec des intellectuels, des ambassadeurs ou des officiers de Tsahal, mais aussi des visites de la Knesset, du mémorial de Yad Vashem ou de bases militaires à la frontière palestinienne... (...)

« Par votre présence, vous contribuerez au renforcement de la relation stratégique bilatérale entre deux pays […] qui partagent les mêmes valeurs [et] ont les mêmes ennemis », écrivait ainsi l’organisme, à l’été 2021, dans un mail envoyé à trente-quatre parlementaires macronistes, Les Républicains (LR), centristes et socialistes, à la veille de leur départ vers l’État hébreu. Un voyage durant lequel ils ont pu rencontrer un ex-numéro 2 du Mossad pour évoquer les enjeux sécuritaires du pays, ou Benyamin Nétanyahou, alors chef de l’opposition, qui a résumé en un mot la recette du « miracle israélien » : le « capitalisme ».

En mars 2023, quinze députés LR se rendaient encore à Jérusalem pour, entre autres, écouter un commandant de police leur présenter le dispositif de vidéosurveillance avec reconnaissance faciale de la vieille ville, et regarder avec lui la vidéo d’un attentat commis quelques semaines plus tôt par des Palestiniens. Deux mois auparavant, alors que les manifestations se multipliaient contre la très controversée réforme de la justice de Nétanyahou, c’était au tour de députés macronistes d’écouter un député du Likoud leur assurer que le gouvernement ne porterait en aucun cas atteinte aux libertés fondamentales…

Après le 7-Octobre, Elnet a renforcé son action. Huit jours seulement après les massacres commis par le Hamas, l’organisation envoyait dix députés LR et Renaissance – ainsi que Manuel Valls, récemment nommé ministre des outre-mer – visiter la base militaire de Shurah, au sud de Tel-Aviv, où reposaient les corps de 300 victimes non encore identifiées, rencontrer des familles d’otages et s’entretenir avec des survivants à l’hôpital Ichilov. (...)

En janvier 2024, alors que le nombre de morts à Gaza frôlait les 25 000, une délégation de 22 sénateurs et sénatrices, dont Francis Szpiner, Loïc Hervé ou Françoise Gatel, ministre des gouvernements Barnier et Bayrou, publiaient aussi une tribune à leur retour de leur voyage Elnet : « Ce voyage a renforcé notre attachement à la société israélienne et notre conviction profonde qu’Israël [...] est à l’avant-garde d’une guerre de la civilisation contre la barbarie », écrivaient-ils.

Un long travail d’influence (...)

Créée en 2010, la branche française d’Elnet – qui dispose également d’antennes en Belgique, au Royaume-Uni, en Allemagne ou en Italie – a pris ses quartiers à quelques mètres de l’Assemblée nationale, rue Saint-Dominique. (...)

Le 23 septembre, dans une interview au média en ligne Qualita, une chaîne destinée aux Français ayant immigré en Israël, le président d’Elnet-France, Arié Bensemhoun, se félicitait ouvertement de l’influence de son organisation sur le microcosme politique français. (...)

A contrario, nombre de députés ne goûtent guère les sollicitations insistantes d’Elnet. Le député macroniste Ludovic Mendès rapporte avoir été approché par le PDG d’Elnet-France il y a deux ans, lors d’un dîner du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France). Mais « pas question d’aller où que ce soit avec un organisme financé par on ne sait qui et qui promeut une ligne religieuse ou politique, assure-t-il à Mediapart. Quand je vais en Israël, je veux par ailleurs pouvoir me rendre où je veux, y compris du côté palestinien ». Une ancienne députée proche de Gabriel Attal raconte également avoir refusé les propositions de l’ONG : « J’ai une éthique », dit-elle.

Dans les rangs socialistes, l’ex-députée Valérie Rabault et le député Jérôme Guedj, tous deux membres du groupe France-Israël à l’Assemblée, ont eux aussi décidé de ne pas répondre aux sollicitations d’Elnet, par peur des potentielles « ingérences ». Le député Liot (Liberté, indépendants, outre-mer et territoires), ancien vice-président du Palais-Bourbon chargé des questions de déontologies, David Habib a, quant à lui, décidé de jouer cartes sur table : il a effectivement réalisé un voyage avec Elnet, mais il a payé tous les frais de sa poche. (...)

La cible de « l’extrême gauche »

Se définissant comme un « think tank du dialogue stratégique entre la France et Israël », Elnet assure se contenter de promouvoir « la démocratie, la liberté, la justice et la paix » de manière « indépendante » et « apolitique ».

De politique, Arié Bensemhoun, le président d’Elnet-France, ne parle pourtant que de cela. Que ce soit sur Radio J où il tient une chronique régulière, ou sur CNews, il est loin de porter un regard « apolitique » sur le conflit au Proche-Orient. (...)

Le 16 octobre, le patron d’Elnet-France se permettait aussi d’envoyer une lettre ouverte à la présidente de l’Assemblée nationale pour réclamer « solennellement » à Yaël Braun-Pivet de « prononcer des sanctions disciplinaires » à l’encontre du vice-président du Groupe d’amitié France-Israël, Aymeric Caron.

L’Insoumis jouerait selon lui « un rôle cynique et prépondérant dans la légitimation de la haine des Juifs dans notre pays » pour avoir relayé des vidéos « non sourcées » des massacres à Gaza ou comparé l’armée israélienne au « monstre nazi ». D’après nos informations, Yaël Braun-Pivet a opposé une fin de non-recevoir au dirigeant d’Elnet. Son entourage a toutefois refusé de nous faire lire le courrier.