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France24
"Drill, baby, drill" : la réalité derrière le discours pro-gaz de schiste de Donald Trump
#Gazdeschiste #Trump #urgenceclimatique #sante
Article mis en ligne le 21 janvier 2025

Les promesses de Donald Trump de développer l’extraction de pétrole et de gaz de schiste, pour soutenir le secteur énergétique et créer des emplois, ont joué un rôle clé dans la bataille pour la Pennsylvanie lors de la présidentielle américaine de 2024. Dans la communauté rurale de Dimock, les forages ont durablement contaminé les nappes phréatiques, bouleversant la vie de la commune. Le président-élu y demeure néanmoins très populaire.

Une double ligne jaune trace le sillage de la route 29, parcourant le paysage rural gelé du nord-est de la Pennsylvanie, un décor endormi, jonché de panneaux de soutien à Donald Trump et de décorations de Noël défraîchies.

À l’entrée de Dimock, commune à majorité blanche d’un peu plus d’un millier d’habitants, de larges traces de pneus envahissent les deux voies de cet axe bitumé, fréquenté par des centaines de camions transportant du matériel et de l’eau vers les puits de fracturation hydraulique de la région. (...)

Circuit d’eau artisanal pour survivre

À Dimock, les nappes phréatiques ont été tellement contaminées par les produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique que l’eau est devenue par endroits complètement inutilisable. Les habitants les plus durement touchés ont dû faire preuve d’imagination pour garantir leurs besoins les plus basiques. (...)

Cocktail de méthane, arsenic et uranium

Le "fracking" ou fracturation hydraulique, consiste à extraire le gaz naturel ou le pétrole contenu dans les roches profondes du sous-sol en les fracturant avec de l’eau et des produits chimiques à haute pression.

La première entreprise à avoir commencé à forer du gaz naturel à Dimock, Cabot Oil & Gas, est arrivée en 2006, surfant sur le boom du fracking aux États-Unis, qui allait faire de la Pennsylvanie le deuxième plus grand producteur de gaz naturel du pays.

Mais peu après le début des opérations, les habitants ont commencé à tomber gravement malades et l’eau de Dimock est devenue brune. La contamination était telle par endroits, qu’il suffisait de frotter une allumette sur un robinet pour qu’elle s’enflamme en raison de la forte teneur en méthane de l’eau. Un puits situé près d’une maison de la commune a même explosé.

Furieux, des habitants ont porté plainte contre l’entreprise en 2009. Une enquête diligentée par l’État a finalement conclu que les puits de gaz défectueux forés par Cabot Oil & Gas avaient laissé échapper de grandes quantités de méthane dans l’aquifère de la commune et l’entreprise s’est vu interdire la fracturation à Dimock en 2010.

Ray Kemble, ancien camionneur, a été à l’avant-garde de la bataille judiciaire de Dimock. Il sort le rapport des analyses d’eau effectuées de l’époque, par le ministère de la protection de l’environnement de Pennsylvanie (DEP). "Je ne m’inquiète pas seulement de la présence de méthane. Voici plus de soixante autres produits chimiques qui accompagnent le méthane", explique-t-il en tirant sur sa pipe. Le rapport démontre la présence d’arsenic et d’uranium, favorisant tous deux le développement de maladies chroniques. (...)

"J’étais émerveillée par les ruisseaux, les fleurs et tous les arbres", se souvient Jess, en regardant son mari, qui ajoute qu’il “ne savait même pas ce qu’était la fracturation hydraulique” lorsqu’ils ont déménagé.

Ce qui ressemblait à un rêve s’est rapidement transformé en cauchemar. "Au début, il ne s’agissait que de problèmes de peau, comme des éruptions cutanées, puis les enfants ont commencé à avoir des saignements de nez, des vomissements, des maux de tête et des difficultés à respirer", explique-t-elle. Même les poules de leur poulailler ont commencé à tomber "raides mortes" et certaines sont nées "sans orteils". (...)

Pendant des mois, le couple s’est creusé la tête pour trouver des réponses. "Nous cherchions sur internet mais comme notre adresse se trouve à Sprinville, juste à côté de Dimock, nous ne sommes pas tombés sur toutes ces histoires" expliquent-ils.

Un jour, les Wilson ont reçu une lettre du DEP indiquant qu’une enquête était en cours sur la contamination de l’eau sur leur propriété. "Nous avons fermé le puits le jour où nous avons reçu la lettre", s’exclame Joe.

Une étude réalisée en 2023 par l’université de Pittsburgh a révélé que les enfants vivant à proximité des sites de fracturation hydraulique s’exposaient à un risque accru de lymphome, une forme rare de cancer du sang.(...)

Soutien immuable pour Trump

Dans les alentours de Dimock, les gens ne font pas mystère des problèmes causés par la fracturation hydraulique. "Nous avons besoin de vous ici. Les bénéfices du fracking ne compensent pas ses désavantages" réagit la réceptionniste d’un hôtel proche de Dimock lorsque nous lui exposons la raison de notre visite.

Bien qu’inscrit sur les listes en tant que Républicain, Ray Kemble critique frontalement Donald Trump pour qui "il n’a pas voté". "C’est un malade, il est à fond dans l’industrie" dénonce-t-il.

Pourtant, la promesse du président élu de "forer, forer, forer" n’a pas refroidi les électeurs dans le comté de Susquehanna, où se trouve Dimock et où 75,9 % de la population a voté Donald Trump.

Le long de la route principale, jonchée de pancartes en soutien au président élu, une gigantesque affiche "Trump coming soon" ("Trump arrive bientôt") trône sur une grande bâtisse blanche, flambant neuve. Ironie du sort : celle-ci devait abriter un centre de traitement des eaux toxiques issues des puits de fracking, mais le projet a été mis sur pause car jugé trop dangereux par les pouvoirs publics.

"Les habitants ici ne vous parleront pas de la fracturation hydraulique, la plupart sont dans la poche de l’industrie, ils ont signé des accords contre de l’argent et ont interdiction de s’exprimer sur le sujet" explique Craig Stevens, militant local ami de Ray et fer de lance de la bataille judiciaire contre Cottera.

Une affirmation que confirme à demi-mot une voisine, très gênée par nos questions. "La fracturation est un sujet très sensible ici à Dimock" souligne-t-elle. Sa famille a "eu quelques problèmes" mais elle "ne peut pas en parler". Proche de sa propriété, un puits de gaz aurait entraîné des nuisances et notamment des "problèmes d’eau", laisse-t-elle entendre. "Nous avons un gros système de filtration dans la cave", ajoute-t-elle, "cela fait partie de l’aide que nous recevons".

Selon elle, l’argent est la raison pour laquelle les gens continueront à soutenir Trump, qu’ils soient ou non affectés par les conséquences environnementales et sanitaires de la fracturation hydraulique autour de Dimock. "Certains tirent l’essentiel de leurs revenus des redevances [des concessions gazières sur leur propriété]", explique-t-elle. "Des personnes qui ont beaucoup de terres, comme les agriculteurs, ont beaucoup de puits sur leurs propriétés". Comme elles ont du mal à joindre les deux bouts avec l’agriculture, elles signent des baux d’exploitation de gaz.

Industrie bienfaitrice

Coterra n’a pas seulement glissé de l’argent dans les poches des résidents, mais a également financé les écoles locales et donné plus d’un million de dollars au comté de Susquehanna pour des bourses d’études. À une vingtaine de minutes de route au nord de Dimock, un complexe hospitalier gigantesque en briques rouges arbore sur sa façade un logo de Coterra bien visible. "Les forages ne posent pas que des problèmes, les industries font également des choses positives pour la communauté ici" souligne l’habitante de Dimock, qui affirme elle-même "ne pas être opposée" au fracking.

Bloqués dans leur maison sans eau, Joe et Jess ont mené leur enquête et découvert petit à petit ces enjeux qui les dépassent. Le couple en est aujourd’hui persuadé, les anciens occupants de leur maison avaient cédé les droits d’exploitation du sous-sol. "Le propriétaire avait glissé au détour d’une phrase qu’il avait signé un contrat avec une entreprise mais que cela ne changeait en rien le fait que nous soyons propriétaire de la maison et du terrain" se souvient-il.

Lui n’avait pas connaissance de l’existence de tels droits mais leur cession à un tiers est parfaitement légale. Le couple aimerait tout plaquer et partir. Mais cela leur est impossible dans l’immédiat, avec une hypothèque à payer, des salaires modestes et trois enfants à nourrir. (...)