
Derrière le consensus de façade à condamner les discriminations, le phénomène est minimisé et les victimes sont décrédibilisées. Une mesure chiffrée est indispensable pour dévoiler l’ampleur des faits. Patrick Simon, démographe et directeur de recherche à l’Ined, signe un texte introductif dans le « Rapport sur les discriminations en France » que nous venons de publier.
La question des discriminations en France est une mine de paradoxes. Alors que les Français et les Françaises se montrent parmi les plus conscients en Europe de l’ampleur des discriminations [1], en particulier ethniques et raciales, cette reconnaissance reste abstraite. Les faits de discrimination rapportés dans les médias rencontrent souvent l’incrédulité et la réfutation. Les plaintes en justice aboutissent rarement. Quand des personnes discriminées contestent, on dénonce plus facilement la « victimisation » dont elles abuseraient que les injustices qu’elles subissent. (...)
De fait, s’il y a consensus à dénoncer les discriminations en théorie, il n’y en a pas pour les constater en pratique. Plus de vingt ans après le vote de lois destinées à s’attaquer aux discriminations dont la liste des motifs n’en finit plus de s’allonger, il faut toujours et encore convaincre qu’elles ne se limitent pas aux injustices les plus visibles, mais qu’elles constituent un réseau dense de sélections, décisions, orientations, filtrages, désavantages abrités derrière une façade de neutralité. Ces discriminations qui font système sont toujours relativisées, quand elles ne sont pas tout simplement niées. C’est pourquoi documenter les discriminations, les restituer, et surtout les mesurer constituent des tâches indispensables pour briser les écrans d’une égalité de façade à laquelle nos démocraties s’accommodent volontiers.
Ce Rapport sur les discriminations en France se fait le messager de bien mauvaises nouvelles pour la République, mais il remplit une mission vitale : rendre visible l’invisible par la compilation d’études et de statistiques (...)
Parce qu’il ne suffit pas de s’indigner de l’existence de discriminations, parce que proclamer l’égalité sans s’assurer qu’elle est respectée pour toutes et tous partout dans la société ne conduit qu’à reproduire les inégalités, le recueil patient et obstiné des faits est le levier qui doit conduire les politiques d’égalité effective, reconnaitre les préjudices, réparer les atteintes aux droits, redonner la voix à celles et ceux qui subissent les discriminations et qui sont niés dans leur expérience.
Nous nous payons trop de mots, alignons les chiffres. Il est temps de rendre des comptes. (...)