
Dans L’Odyssée d’Abdoul, un livre-enquête sur le crime organisé, sortie en librairie en France fin août, Audrey Millet décortique les réseaux mondiaux de trafic d’armes, de drogues et d’êtres humains. Ce récit est basé, entre autres, sur des centaines d’heures d’entretiens avec des exilés... dont Abdoul.
(...) Abdoul rêvait de monter son propre atelier de confection en Europe. Le long périple de ce tailleur ivoirien le mène d’abord à Sabha, dans le centre de la Libye, où il vit ce qui demeurera l’expérience la plus traumatisante de son odyssée. Il se retrouve regroupé avec d’autres migrants, dont des fillettes, que les trafiquants emmenaient avec eux pour les violer. "Ça restera gravé dans ma mémoire. Je vois encore les visages de ces petites filles pour lesquelles on n’a rien pu faire", témoigne-t-il.
Il finit par échouer en Toscane, en Italie, dans une ville textile en proie à la mafia italienne, chinoise et nigériane, où il répare d’abord de vieux meubles. Un travail annoncé comme volontaire par l’Italienne qui gère sa maison d’accueil, mais qui ne l’est en réalité aucunement et rémunéré seulement par le gîte et le couvert.
Pour se faire un peu d’argent, Abdoul accepte ensuite un travail dans l’un des nombreux ateliers textiles clandestins tenus par des familles chinoises. "C’est une mise en esclavage. Il travaille jour et nuit ou quatorze heures par jour, dans des conditions absolument abominables. On fait tout pour limiter les coûts de ce vêtement. Ces gens travaillent la nuit. Ces gens n’ont pas de contrat. Ces gens n’ont pas de sécurité sociale", souligne Audrey Millet, autrice de l’enquête L’Odyssée d’Abdoul (éditions Les Pérégrines).
Payé 20 à 30 euros par jour, Abdoul est victime de discrimination. Il précise la pyramide raciale : "D’abord les Chinois, après les Pakistanais et après, les Noirs qui viennent en dernier." (...)
Lire aussi :
– (Editions Les Pérégrines)
L’Odyssée d’Abdoul
Enquête sur le crime organisé
Audrey Millet
Deux ans d’investigation, 150 témoins, la culpabilité des États. « Juin 2022, Italie : Abdoul et moi nous rencontrons devant un magasin de mode made in China. “Vous parlez français ?” me demande-t-il. À Prato, jamais vous n’entendrez la voix d’immigrés africains. Partout, leur exil se prolonge. » En cherchant à monter son atelier de confection, Abdoul, tailleur ivoirien, a pris sans le savoir la route de l’esclavage en 2015. (...)
« L’odyssée d’Abdoul se lit les larmes aux yeux et la rage au ventre. » Extrait de la préface de Caroline Abu Sa’Da, directrice de SOS Méditerranée Suisse
Audrey Millet, historienne, est l’autrice aux Pérégrines du remarqué Livre noir de la mode. Chercheuse à l’OsloMET et au laboratoire d’anthropologie du travail à l’université de Bologne, elle étudie les liens entre made in Italy et crime organisé.