
À quelques mètres du grand sapin illuminé de la place Kléber, quatre sans-abris se protègent du froid grâce à leurs couvertures rue de l’Outre. Ils contrastent avec les touristes qui déambulent vin chaud à la main. « Aujourd’hui on a pu rester ici comme le magasin est fermé », témoigne Baptiste, pointant du doigt la boutique de chaussures Minelli, lundi 27 novembre. L’édition 2023 du Marché de Noël de Strasbourg a commencé trois jours plus tôt. Elle devrait accueillir autour de trois millions de visiteurs.
(...) Au même moment, « 2 000 personnes demandent un toit à Strasbourg, c’est incontestablement une première », constate Marie-Dominique Dreyssé, vice-présidente de l’Eurométropole en charge des solidarités (...)
De plus en plus de personnes vulnérables à la rue
Le taux de demandes non pourvues est de 94%, à cause de la saturation du dispositif, malgré l’obligation légale pour l’État de loger les personnes qui le demandent. (...)
Noël peut être l’occasion de faire preuve de solidarité. Mais à Strasbourg, les enjeux touristiques et commerciaux priment parfois lors de ces festivités. En 2019, la municipalité socialiste était allée jusqu’à prendre un arrêté « anti-mendicité » interdisant « l’occupation prolongée de l’espace public » sur plusieurs périmètres du centre-ville comme la rue des Grandes-Arcades pendant le marché de Noël. Celles et ceux qui demandaient de l’argent ou dormaient sur place devaient donc quitter les lieux. Fraichement élue, la maire écologiste Jeanne Barseghian avait abrogé la mesure en 2020. (...)
Dans la Grande-Île, les observations des mendiants se ressemblent. Sur sept personnes interrogées, six disent avoir de bonnes relations avec la police municipale.
« À Rennes, on peut se faire réveiller par du gaz lacrymo. Ici, ça n’a rien à voir. On dort avec mon copain ruelle des Pelletiers. La police municipale vient vers 7h pour nous dire qu’il faudrait se lever si on est pas encore debout. Ils ont même fait le lien avec le CCAS (centre communal d’action sociale, NDLR). » Luna, sans-abri à Strasbourg (...)
Contacté, le président des Vitrines de Strasbourg Gwenn Bauer n’a pas souhaité répondre aux questions de Rue89 Strasbourg. L’association de commerçants est une promotrice de l’arrêté anti-mendicité et avait même regretté en 2019 que ce dernier ne couvre pas une zone supplémentaire sur la Grand’Rue.
« Il n’y a aucune volonté de cacher la misère. Nous refusons d’empêcher les sans-abris d’être au centre-ville et de mendier. Cela a causé des critiques de commerçants mais nous souhaitons aussi répondre à leurs problématiques », précise Floriane Varieras, adjointe à la maire en charge de la solidarité (...)
« Le but est de permettre un partage de l’espace public le plus juste possible. Les consignes, c’est que les sans-abris ne peuvent pas rester devant des vitrines, des portes de lieux d’habitation ou de travail. Mais il est fondamental de considérer que l’espace public n’est pas uniquement dédié aux personnes qui vont acheter. » (...)
Marie-Dominique Dreyssé était adjointe au maire en charge des solidarités lors du mandat précédent. Selon elle, l’approche politique de la gestion de l’espace public a beaucoup changé (...)
« Tous les matins, il y a une première tournée pour voir où sont les sans-abris », raconte Éric Schumacher, policier municipal et délégué CFTC : « On vérifie s’ils sont en bonne santé et on discute avec eux. Il y a des couvertures de survie dans la voiture si nécessaire. » Lorsque le service propreté doit intervenir, les policiers municipaux et les services sociaux préviennent les sans-abris en amont.
Peter et Yilka sont installés sous les arcades de la rue de la Division-Leclerc. « La police nous a dit que ce trottoir sera nettoyé demain », relate Peter. Les deux Tchèques vont trouver un autre emplacement pour la nuit. (...)
avant la mise en place de ce dispositif, « il n’était pas rare que des gens soient réveillés à 5 ou 6h du mat’ parce que le service propreté allait passer immédiatement ». (...)
En juin 2021, le conseil municipal a adopté à l’unanimité la déclaration des droits des personnes sans abri de la fondation Abbé Pierre. Le texte décliné en 14 articles proclame notamment la liberté de se déplacer et de s’installer dans l’espace public, le droit à la mendicité, au glanage, au logement si la personne le demande ou encore l’accès à de l’eau potable, des douches, des toilettes et de l’électricité.
La police aux frontières en ville
Si Germain Mignot reconnait une nette évolution et une meilleure considération des personnes à la rue que lors du mandat précédent, il estime que la Ville pourrait aller plus loin. Il cite le squat Sarlat, dont les habitants ont été expulsés le 22 novembre alors que les bâtiments appartenaient à un bailleur social de l’Eurométropole. (...)
Dans son dispositif de sécurité du Marché de Noël, la préfecture a décidé de mobiliser « des effectifs de la police aux frontières (PAF) ». En Ville, une partie des personnes qui dorment sous des tentes sont migrantes, parfois en situation administrative irrégulière. Sabine Carriou, de l’association de solidarité Les Petites Roues, s’interroge sur cette présence accrue de la PAF : « Il risque d’il y avoir davantage de contrôles d’identité, et donc de tension pour ces sans-abris qui sont déjà dans une situation très difficile. »
Interrogée sur le type d’interventions réalisées par la police aux frontières au Marché de Noël, la préfecture n’a pas répondu à la sollicitation de Rue89 Strasbourg. Elle n’a pas encore décidé d’ouvrir un gymnase la nuit malgré la neige tombée le 1er décembre, mais elle a déclenché le premier niveau du plan grand froid permettant « d’accroitre temporairement les capacités de mise à l’abri des personnes sans-domicile dans des centres d’hébergement ». (...)