
La période que nous avons vécue a semblé accélérer l’histoire et servir de clarificateur à certains endroits. Parmi tous les événements qui se sont succédé, l’un d’entre eux n’est pas passé inaperçu dans le monde militant et médiatique : l’annonce fracassante de François Ruffin de sa rupture avec la France Insoumise et Jean-Luc Mélenchon. Cette rupture, bien qu’aussi motivée par des ambitions personnelles, est révélatrice de fractures idéologiques et stratégiques à gauche. Ruffin lui-même demande à ce que ses thèses soient discutées et créent du débat. Alors regardons-y de plus près.
(...) François Ruffin, précédemment investi par la France Insoumise, a largement pris parti pour ceux que la presse mainstream a rapidement surnommés “les purgés” (pour associer Jean-Luc Mélenchon à Staline). Il ne s’en est pas contenté. Il a par la suite orienté l’essentiel de sa campagne, surtout médiatique, sur sa détestation de Jean-Luc Mélenchon : il faut dire que si cela ne garantit pas de succès électoraux (cf les destins de Roussel, Hidalgo, Jadot…), cela permet toutefois de nombreuses invitations médiatiques. Cette attitude a beaucoup choqué les militants insoumis qui se sont empressés de le lui faire savoir.
Mais la déloyauté est-elle réellement un problème en politique ? Devrions-nous suivre un chef quoi qu’il en coûte avec un raisonnement quasi mafieux de “parce qu’on lui devrait tout” ?
Évidemment non. Il peut être parfaitement légitime de critiquer Jean-Luc Mélenchon ou la France Insoumise. À Frustration, nous pensons que ce mouvement et cette personnalité politique sont déjà extrêmement diabolisés par la bourgeoisie et que ce n’est pas notre rôle d’en rajouter une couche en permanence, car nous savons que derrière c’est tout notre camp social qui est en réalité attaqué. Mais nous ne taisons pas pour autant certains désaccords (...)
Des critiques constructives peuvent aider à faire progresser notre camp, cela a d’ailleurs souvent été le cas par le passé.
Toutefois, sur quoi précisément Ruffin critique-t-il Jean-Luc Mélenchon et la France Insoumise ? S’agit-il de critiques constructives, en provenance de la gauche ?
La question du timing : la France Insoumise est-elle l’ennemi principal ? (...)
Cette campagne s’est aussi avérée dangereuse car dans de nombreuses circonscriptions, le barrage au RN ne pouvait se faire qu’avec un bulletin France Insoumise. En ciblant à ce moment précis la France Insoumise, celui-ci mettait en danger le Nouveau Front Populaire, dont il fait pourtant partie, dans de nombreuses circonscriptions, et passe à côté de ce fait pourtant évident : ce qui est “repoussoir” dans des zones gagnées par la droite n’est pas la figure de Jean-Luc Mélenchon, c’est être de gauche. (...)
Peut être encore plus grave, François Ruffin semble voir l’antiracisme et les questions LGBT comme des diviseurs, comme des sujets secondaires.
C’est ainsi qu’après un attentat islamophobe, une marche contre le racisme anti-Musulmans avait été organisée. Ruffin s’était empressé de dire qu’il n’irait pas car il préférait aller au foot.
Fakir, le journal de Ruffin, peu connu du grand public, publie régulièrement des textes extrêmement douteux, voire franchement abjects. L’un d’entre eux témoignait par exemple d’une envie de meurtre d’Aya Nakamura, jeune chanteuse noire franco-malienne rencontrant un succès phénoménal et haïe de la fachosphère en raison de son assurance et de son existence même dans l’espace public. (...)
encore uniquement centré contre Jean-Luc Mélenchon, Ruffin met en scène tout le soutien que l’establishment politique lui apporte. On y trouve le responsable des libéralisations de masse des années 2000, Lionel Jospin. On y trouve François Bayrou, précurseur idéologique du macronisme. Des responsables macronistes et LR. Raphaël Glucksmann, la nouvelle incarnation du hollandisme contre lequel Ruffin avait pourtant construit son image médiatique au moment de la Loi Travail. Laurent Berger, l’artisan de la défaite du mouvement contre la réforme des retraites qui travaille désormais au Crédit Mutuel c’est-à-dire dans la banque et l’assurance.
Cela est tristement révélateur : si Ruffin était une menace pour la classe dominante, celle-ci ne serait pas aussi prompte à lui accorder son soutien. Pour le dire autrement, si, alors qu’on est “de gauche”, François Bayrou “n’a aucun problème” avec soi, il y a un très gros souci. (...)