Bandeau
mcInform@ctions
Travail de fourmi, effet papillon...
Descriptif du site
Infomigrants
Comment Mayotte est devenue un territoire d’exception en France pour le droit des étrangers
#Mayotte #nationalité #droitdusol #diversite #identites #extremedroite #Darmanin #Macron
Article mis en ligne le 15 février 2024
dernière modification le 14 février 2024

Le ministre de l’Intérieur français a annoncé dimanche la suppression à venir du "droit du sol" à Mayotte. Une réforme qui devra passer par une révision constitutionnelle. Mais cette annonce consacre le fait que l’île, qui a pourtant un statut de département, a toujours été l’objet d’un traitement différent de l’Hexagone, et même des autres départements d’Outre-mer. Décryptage.

(...) Des déclarations qui actent une fois de plus le traitement différencié réservé au 101e département français. Et qui viennent même le renforcer, souligne Marie-Laure Basilien-Gauche, professeur de droit constitutionnel, au micro d’Adrien-Guillaume Padovan. "Mayotte est déjà un département mis à part avec des règles dérogatoires, des régimes exceptionnels qui viennent limiter les droits des migrants. Une telle loi poserait un très gros problème du point de vue de l’indivisibilité de la République", s’inquiète-t-elle.

La mesure est "radicale", concède le ministre, mais elle "coupera littéralement l’attractivité" de l’archipel français. Le petit territoire de l’océan Indien est confrontée à une forte pression migratoire, venue essentiellement des Comores, mais aussi de la région des Grands Lacs, qui accentue les difficultés économiques et sociales du plus pauvre des départements français. Rendant la situation explosive.

Ces annonces, que des collectifs de Mahorais appelaient de leurs vœux, ont donc été saluées à droite et à l’extrême droite, tandis que la gauche a exprimé son inquiétude. Car ce n’est pas la première mesure exceptionnelle annoncée par Paris pour tenter de régler les problèmes de l’île. Au fil des années, l’État a progressivement durci sa politique migratoire, en multipliant les exceptions. (...)

Une histoire particulière

Pour mieux comprendre, il faut rappeler l’histoire de l’île. Au début des années 1970, Mayotte fait partie de l’archipel des Comores, alors territoire d’Outre-mer français ayant acquis une certaine autonomie après avoir été une colonie. En 1974, les Comores organisent une consultation d’autodétermination. Si globalement, l’archipel se prononce en faveur de son indépendance, Mayotte vote, elle, pour rester dans la République française. En dépit du droit international qui dit que la décolonisation doit se faire dans le respect de l’intégrité territoriale, la France choisit de tenir compte des résultats à Mayotte séparément. La communauté internationale n’a d’ailleurs jamais reconnu le rattachement de l’île à la France.

À partir de là, la situation se complique : les Comores sont l’un des pays les plus pauvres au monde, régulièrement en proie à l’instabilité. Mayotte devient donc attractive et sa population augmente. En même temps, si Mayotte s’est "séparée" des Comores, elle a conservé des liens forts – familiaux, commerciaux – avec les autres îles.

Dès 1995, la France met donc en place le "visa Balladur", réservé aux Comoriens qui veulent se rendre à Mayotte. Destiné déjà à freiner l’immigration, il est particulièrement difficile à obtenir. Les traversées clandestines augmentent. La départementalisation de l’île, en 2011, va encore accentuer le phénomène. Et si la législation de Mayotte a dû s’aligner sur les lois de la République, ses habitants sont toujours loin de bénéficier des mêmes droits.
Des dérogations acceptées par le Conseil constitutionnel (...)

En 2018, la loi Asile et immigration restreint le droit du sol à Mayotte (...)

Alors qu’un titre de séjour obtenu en métropole permet à un étranger d’aller et venir partout sur le territoire, un titre de séjour délivré à Mayotte n’est valable que dans l’île. Pour voyager dans l’Hexagone, il faut donc un visa. Un dispositif "qui condamne près de 40 000 personnes à se maintenir sur un territoire qui n’a rien à leur offrir", regrette Marjane Ghaem, avocate, membre du Groupe d’information et de soutien des immigrés (Gisti). (...)

Et on peut citer encore d’autres différences avec le droit hexagonal : délais plus courts pour les demandes d’asile, absence de recours en cas d’Obligation de quitter le territoire français (OQTF)… La loi de 2018 a aussi restreint la carte donnant la possibilité à un étranger mineur de voyager aux seuls enfants nés à Mayotte.

Le projet de loi Immigration, adopté en janvier, prévoyait également de durcir les conditions d’accès à la nationalité à Mayotte – il aurait fallu justifier d’un an de titre de séjour au lieu des trois mois – en étendant cette disposition à la Guyane et à Saint-Martin. "Elle a été censurée par le Conseil constitutionnel", note Lisa Carayon.

Mais le droit des étrangers et l’accès à la nationalité n’est pas le seul domaine pour lequel les lois différent avec la métropole. Les minimas sociaux, comme les prestations sociales ne sont pas les mêmes dans l’île, le RSA ou le SMIC horaires par exemple, sont plus faibles.
"L’attractivité de Mayotte n’a rien à voir avec les papiers" (...)

"Il n’y a rien de nouveau en réalité, s’indigne Marjane Ghaem . Ce sont juste les mêmes réformes puissance trois, puissance quatre, etc. Ça fait 25 ans qu’on interpelle les gens chez eux, ça fait 25 ans qu’on brise des vies et qu’on répète à des gamins : ’Tu n’es qu’un étranger’. Donc la seule chose qui va se passer, selon moi, c’est qu’il y aura encore plus de violence."

Derrière ces mesures, pointent les associations, l’idée que les femmes comoriennes viennent à Mayotte pour accoucher et que les enfants bénéficient de la nationalité française. "C’est mal connaitre la situation et le droit actuel, souligne Lisa Caron, puisque quand bien même, leurs enfants ne pourraient prétendre à la nationalité que très longtemps après, et dans l’intervalle, elles sont comme leurs enfants, arrêtables, expulsables, et n’ont aucun droit particulier du fait d’avoir accouché sur le territoire mahorais."

Selon l’économiste Antoine Maths, ces mesures ne vont "rien régler". Il fustige les "amalgames" qui ont favorisé la montée de la xénophobie sur le territoire : "Si Mayotte manque d’eau, c’est peut-être aussi lié à des défaillances des pouvoirs publics locaux, mais aussi de l’État. Il est toujours plus facile de pointer du doigt ’l’étranger’, de faire de l’immigration le bouc émissaire."
"On a autour un océan de misère" (...)