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Mediapart
Comment les préfectures censurent en amont les demandes de subventions associatives
#MinisteredelInterieur #prefectures #associations #subventions
Article mis en ligne le 22 octobre 2025

Depuis plusieurs années, une directive du ministère de l’intérieur ordonne que les renseignements territoriaux inspectent la liste des associations demandant une subvention au titre du Fonds de développement de la vie associative, une aide de l’État. Et ce, afin d’exclure celles qui seraient jugées trop militantes.

Le ministère de l’intérieur a mis en place un dispositif d’ostracisation des associations militantes d’ampleur visant à priver, a priori, de subventions celles dont les activités auraient déplu aux renseignements territoriaux ou aux préfets.

Ces dernières années, la presse s’est fait l’écho à de multiples reprises de cas d’associations dont les demandes de subventions ont été rejetées en raison de leur engagement politique ou de prises de position publiques.

Une répression politique qui semblait se concentrer dans certains territoires comme le plateau de Millevaches dans le Limousin, où la préfecture de région aurait établi une « liste rouge » d’associations, et auquel Mediapart avait consacré une série d’articles au mois de décembre dernier.

Une note de l’Observatoire des libertés associatives, non encore publiée mais dont Mediapart a pu prendre connaissance, révèle que cette pratique est en fait codifiée au niveau national depuis environ quatre années. (...)

« Cela fait quatre ans qu’on nous demande de transmettre les dossiers aux renseignements territoriaux en amont pour qu’ils puissent donner leur position ou indiquer des limites sur les financements », nous confirme ainsi un agent d’un service départemental à la jeunesse, à l’engagement et aux sports (SDJES), un service au cœur du dispositif mis en place par le ministère de l’intérieur pour exclure a priori certaines associations des subventions. (...)

Le syndicat Solidaires confirme qu’il s’agit d’une consigne nationale. (...)

La procédure mise en place par le ministère de l’intérieur concerne les subventions accordées par l’État par le biais du Fonds de développement de la vie associative. Créé en 2011, ce dispositif de financement n’a depuis cessé de prendre de l’importance. En 2018, y a été intégré l’équivalent des fonds de l’ancienne « réserve parlementaire », une somme d’argent dont chaque élu·e de l’Assemblée ou du Sénat pouvait user à discrétion pour subventionner des associations. Comme le souligne la note de l’Observatoire des libertés associatives, son budget était alors de 25 millions d’euros. Il est depuis passé à 32 millions en 2020 et à 68,1 millions en 2025.

Les associations qui souhaitent solliciter une subvention auprès du fonds doivent déposer un dossier présentant leur projet auprès du SDJES, qui est chargé de l’instruire et de noter son intérêt. La procédure mise en place par le ministère de l’intérieur concerne les subventions accordées par l’État par le biais du Fonds de développement de la vie associative. Créé en 2011, ce dispositif de financement n’a depuis cessé de prendre de l’importance. En 2018, y a été intégré l’équivalent des fonds de l’ancienne « réserve parlementaire », une somme d’argent dont chaque élu·e de l’Assemblée ou du Sénat pouvait user à discrétion pour subventionner des associations. Comme le souligne la note de l’Observatoire des libertés associatives, son budget était alors de 25 millions d’euros. Il est depuis passé à 32 millions en 2020 et à 68,1 millions en 2025. (...)

L’analyse du SDJES sert ensuite de base de travail à un collège départemental consultatif, présidé par le préfet et composé d’élus, de représentants de collectivités locales, de membres d’associations et de « personnalités qualifiées » que le préfet peut désigner. Il doit rendre un avis transmis à une commission régionale chargée de valider les projets, et présidée par le préfet de région, véritable décideur. (...)

Depuis 2022, cette procédure est donc contournée en amont par les préfectures auxquelles les agents du SDJES doivent transmettre la liste des associations demandeuses, avant même l’instruction de leur dossier. La liste est alors examinée par les renseignements territoriaux (RT), qui la renvoient « épurée des associations trop militantes », explique l’Observatoire des libertés associatives (...)

les « associations jugées trop militantes à gauche (écologie, féminisme, altermondialisme) », écrit l’Observatoire des libertés associatives. (...)

L’ombre du contrat d’engagement républicain

L’entrée en vigueur de cette nouvelle directive correspond à celle du contrat d’engagement républicain (CER), en janvier 2022, qui permet déjà au préfet de refuser une subvention en cas de violation de l’une de ses sept obligations. Celui-ci est cependant rarement invoqué à cause d’un paradoxe apparent : en créant le CER, le législateur a offert aux associations une arme juridique pour contester les refus de subvention.

Au mois de mars 2022, le Conseil d’État a ainsi annulé le refus du maire de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire) d’autoriser un stand d’information du Planning familial devant l’hôtel de ville au motif que la présence d’une femme voilée sur une affiche constituait une violation du CER.

Au mois de novembre 2023, c’est le tribunal administratif de Poitiers qui a rejeté la demande de remboursement, exigé par la préfecture de la Vienne, d’une subvention accordée par la ville à Alternatiba, au motif que l’association luttant « pour le climat et la justice sociale » avait organisé un atelier de désobéissance civile.

Et, le 16 septembre, le tribunal administratif de Bordeaux a examiné un recours de la compagnie de théâtre Arlette Moreau, basée à Poitiers, qui conteste un refus de subvention de la direction régionale aux droits des femmes et à l’égalité (DRDFE) de la préfecture de Nouvelle-Aquitaine, au motif que ses « engagements militants » enfreignent le CER.

Depuis janvier 2022, il n’y a eu ainsi qu’une poignée d’activations officielles du contrat d’engagement républicain et certains préfets en arrivent même à tout faire pour dissimuler son usage. (...)

« Les retours sont uniquement oraux car, sinon, ce serait plus facilement attaquable, confirme le fonctionnaire territorial. Et quand il y a un refus non motivé, les membres du collège FDVA du secteur associatif essayent souvent de demander si c’est lié au contrat d’engagement républicain afin que cela figure au compte rendu et ainsi avoir une base écrite. »
Un outil de disqualification et d’ostracisation

Comme l’a rapporté Mediapart au mois de décembre 2024, et rappelé par la note de l’Observatoire des libertés associatives, la préfecture de Corrèze a même été jusqu’à faire modifier le règlement intérieur du collège FDVA pour imposer la confidentialité des discussions lorsque sont abordées les raisons d’un refus, notamment lorsque la violation du CER est évoquée.

Les préfets disposent d’un droit discrétionnaire en matière de subventions et peuvent très bien refuser une demande tout simplement pour manque de crédits. Mais le CER ajoute une portée symbolique et agit comme un outil de disqualification permettant d’ostraciser une association. (...)

Cette pression politique est également un message envoyé aux associations engagées, qui peuvent hésiter à prendre position sur certains sujets. Dans une étude publiée au mois de juin, l’Observatoire des libertés associatives montrait que 41 % des associations dites « citoyennes » reconnaissent s’être déjà autocensurées pour éviter des conflits avec les pouvoirs publics.

Contacté par Mediapart pour avoir confirmation de l’existence de la directive sur les FDVA ainsi que sa communication, le ministère de l’intérieur n’a pas répondu.