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Comment les multinationales organisent un « hold-up sur les semences » en Afrique
#agriculture #semences #multinationales #Afrique #Zambie #privatisations #biodiversite
Article mis en ligne le 6 octobre 2024
dernière modification le 4 octobre 2024

Les paysans de Zambie s’opposent à un projet de loi qui menace leur liberté de disposer de leurs semences. Derrière ce texte : des multinationales, la Fondation Gates et des États occidentaux, en pleine offensive sur l’Afrique.

« Nous sommes collectivement indignés. » La Zambia Alliance for Agroecology and Biodiversity (Zaab), un réseau zambien d’organisations de paysans, d’activistes et de citoyens, est en campagne pour dénoncer la « vague de pressions » qui pousse les pays africains à limiter les droits de propriété des paysans sur les semences, un enjeu crucial.

Elle s’oppose dans son propre pays, la Zambie, à l’adoption d’un projet de modification de la loi en vigueur, qui va, selon elle, essentiellement bénéficier à l’industrie semencière et mettre en péril les petits producteurs. Et ce, alors que ces derniers produisent la majeure partie de la nourriture de la Zambie. (...)

Le texte vise à aligner le cadre légal zambien sur une convention réglementant les droits de propriété sur les variétés végétales adoptée en 1991 par l’Union internationale pour la protection des obtentions végétales (Upov). In fine, il s’agit de faire en sorte que la Zambie devienne membre de cette organisation intergouvernementale, fondée en 1961 par des pays européens et basée à Genève. (...)

Privatisation des semences

Le gouvernement zambien défend l’idée que la nouvelle loi permettra de moderniser l’agriculture du pays, car elle donnera la possibilité d’utiliser de « nouvelles variétés végétales améliorées », qui serait le gage de meilleurs rendements.

Du point de vue des paysans et de leurs soutiens, l’Upov constitue un grand danger car elle œuvre à la privatisation des semences, à l’encontre des pratiques actuelles. En Zambie et dans de nombreux autres pays africains, 80 à 90 % des semences sont produites par les paysans qui les sélectionnent, les multiplient dans leurs champs et les échangent ou se les vendent entre eux. (...)

Privatiser aura pour effet d’ouvrir la voie aux semences produites par l’industrie, de restreindre le droit des agriculteurs à réutiliser les semences, tout en rendant ces derniers dépendants de fournisseurs industriels d’intrants — les semences « améliorées » (OGM et hybrides) des industriels nécessitant l’utilisation accrue de pesticides et devant être rachetées chaque année.

Un « hold-up sur les semences » (...)

La convention de l’Upov interdit ainsi aux paysans « de conserver, de multiplier, de planter, d’échanger ou de vendre librement les semences protégées par des certificats d’obtention végétale », déplorait en 2021 un collectif de 300 organisations et réseaux dans le monde.

« L’Upov est la plus claire expression de la guerre menée contre les paysans », ont résumé les ONG Alianza Biodiversidad et Grain, parlant de « hold-up sur les semences » (...)

Sans surprise, le projet de loi en Zambie a justement été initié « par des multinationales semencières soutenues par leurs gouvernements dont la seule motivation est l’argent à gagner en contrôlant et en possédant les diverses semences de Zambie (et d’Afrique) », dénonçait la Zaab dès avril.
Pressions occidentales

Le scénario est toujours le même : afin de les pousser à appliquer les règles de l’Upov, les pays africains, dont plus des deux tiers des habitants vivent de l’agriculture, sont soumis à des pressions « principalement exercées par les États-Unis, l’Union européenne, les pays de l’Association européenne de libre-échange (Aele), et par le Japon pour ce qui est de l’Asie, autrement dit par les pays qui ont une forte industrie semencière », détaille auprès de Reporterre Karine Peschard, chercheuse associée à l’académie de Genève.

Ces grandes puissances passent notamment par les accords de coopération, comme ceux conclus par l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID), les accords économiques et commerciaux, pour imposer leur volonté, précise-t-elle. (...)

L’industrie semencière utilise quant à elle ses organisations nationales pour faire pression (...)

Les multinationales réussissent aussi à s’immiscer dans les organes de décision des pays visés, comme l’a exposé la chercheuse Clare O’Grady Walshe à propos du Kenya. (...)

Banque mondiale et fondations privées à la manœuvre (...)

Autres acteurs importants s’activant en faveur de l’Upov en Afrique : « Les fondations philanthro-capitalistes, comme la Fondation Gates », rappelle Karine Peschard. Une enquête récente de l’Alliance pour la souveraineté alimentaire en Afrique (AFSA) révèle comment la controversée Alliance pour une révolution verte en Afrique (Agra), financée par la Fondation Gates et très active en Zambie, influence les politiques agricoles des États, en plaçant par exemple des consultants dans des organes publics stratégiques. (...)

Les institutions financières internationales jouent aussi un rôle de premier plan : la Banque mondiale a accordé à la Zambie un prêt de 300 millions de dollars en demandant, entre autres conditions, que le pays adhère à l’Upov. (...)

Résultat, « la nouvelle loi pourrait potentiellement criminaliser la conservation et le partage de semences pour toutes les cultures, à l’exception d’une courte liste. Cela signifie que, si elle est adoptée, les agriculteurs zambiens seront surveillés et traduits en justice pour avoir fait ce qu’ils ont toujours fait », s’insurge la Zaab (...)

Les paysans zambiens et leurs soutiens sont d’autant plus révoltés par ce coup de force que la privatisation et l’uniformisation des semences sont en incohérence avec la nécessité de protéger la biodiversité, de lutter contre l’insécurité alimentaire et de s’adapter au changement climatique — les semences paysannes sont réputées plus résistantes aux aléas climatiques que celles des industriels. (...)

La coalition peut compter sur la solidarité d’autres communautés paysannes qui ont bataillé ou bataillent encore contre l’Upov. Au Kenya, par exemple, une quinzaine de paysans, appuyés par Greenpeace Africa, contestent depuis deux ans, devant la justice, la constitutionnalité d’une loi de 2012.

La Zaab espère encore arriver à convaincre les autorités de renoncer à leur projet. (...)