
Le géant Lactalis va arrêter de collecter chez des producteurs de lait bio... à moins qu’ils n’acceptent de repasser en conventionnel ! Comment le vivent les éleveuses et éleveurs concernés ? Reportage chez l’un d’eux.
(...) le lait, pour le moment, est collecté par la multinationale Lactalis. Mais dans 24 mois, ce sera terminé. Le groupe a annoncé le 25 septembre qu’il allait réduire sa collecte de lait en France de 450 millions de litres (sur les 5,1 milliards de litres de lait collectés chaque année). Soit une baisse de 9 %. Dans un communiqué, Lactalis justifie cette décision par « la nécessité de se recentrer sur les produits de grande consommation français ». Cette annonce touche les producteurs de lait bio en Bretagne. Lactalis leur demande de repasser en conventionnel pour continuer à livrer leur lait à la multinationale. Pourquoi ? Car le lait bio ne se vend plus assez. Jean-Hervé et son fils font partie des livreurs concernés. Ils ont appris la décision de Lactalis par un simple coup de fil. « Le téléphone a sonné. Ils nous ont dit qu’on faisait partie des 26 producteurs bio bretons qui ne seraient plus collectés d’ici 24 mois. (...)
« C’est une entreprise privée, qui veut augmenter sa rentabilité. Et la consommation de lait bio n’arrête pas de diminuer. Nous, ils nous achètent tout le lait au même prix, environ 50 centimes le litre, mais ils revendent une partie au tarif du conventionnel. Logiquement, ils se séparent de leur activité la moins rentable…. » Lactalis aurait aussi pu choisir de piocher dans les réserves accumulées au cours des dix années de croissance à deux chiffres du secteur. (...)
Plusieurs options s’offrent au Gaec de Roz Avel, et aux autres producteurs lâchés par Lactalis : trouver une autre laiterie, continuer à produire en AB et vendre leur lait au prix du conventionnel ou repasser en conventionnel. (...)
Produire autre chose que du lait ? Impossible
Au fil des années, la ferme s’est transformée. Pour que les vaches puissent paître toute l’année sans s’enfoncer dans la gadoue en passant d’une parcelle à l’autre, quatre kilomètres de chemins ont été tracés puis empierrés et stabilisés. De cette façon, les vaches peuvent circuler par tous les temps. Un réseau sous-terrain de tuyaux alimente des abreuvoirs répartis à divers endroits des parcelles.
Et plusieurs kilomètres de haies ont été plantés. (...)
En contrebas de la route qui mène aux champs, un nouveau bâtiment est en train de sortir de terre. Jean-Hervé Caugant arpente le chantier en souriant. C’est souvent gratifiant un enfant qui reprend l’activité. Ce nouvel outil de travail, auquel ils ont réfléchi pendant des mois a une structure tout en bois, il est couvert de panneaux solaires et promet un certain confort de travail, mais oblige par contre à continuer l’activité laitière. « Vous avez vu notre installation ? Que voulez-vous que l’on fasse d’autre ? » Plus d’un million d’euros ont été investis. Les prêts courent sur 10, 15 et 20 ans (...)
« Ce qui est difficile aujourd’hui, c’est qu’on n’a plus les consommateurs avec nous, pense Jean-Hervé. Il y a du monde pour nous expliquer comment on devrait faire le métier, mais au moment de consommer, c’est différent. L’acte alimentaire reste secondaire. » En même temps, il ne leur en veut pas, aux consommateurs. « Je sais que tout coûte cher, le logement, l’énergie, etc. Mais bon aujourd’hui, on se dit s’il n’y a pas les consommateurs et s’il n’y a pas le collecteur, est-ce qu’il faut continuer ? » Certains agriculteurs, fatigués de trimer, vont sans doute se laisser tenter pas des « déconversions », soit le passage du bio au non-bio… (...)
Du côté du soin des bêtes, il y aurait des antibiotiques, des anti-inflammatoires, des anti-graminées, etc (...)
« Ça peut être la Sill, Laïta, Sodiaal ou Biolait… » Cette dernière option est « tentante » pour l’éthique de la structure, qui fait un peu office d’ovni au pays des ogres du lait ; car Biolait soutient les agriculteurs bio depuis trente ans en proposant un prix stable et identique pour tous les éleveurs, quel que soit le lieu de la ferme et le volume collecté.
Mais la crise du secteur les a contraints dernièrement à baisser leurs prix et pour le Gaec de Roz Avel, « ce n’est pas tenable financièrement ». Autre solution : le respect par les pouvoirs publics de la loi Egalim qui impose 20 % de bio dans les cantines, loin des 6 à 10 % actuels. Le respect des 20 % ferait bondir d’un coup les besoins en produits lactés, permettant aisément d’absorber l’abandon de Lactalis.
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