La carte scolaire ne se limite pas à organiser l’affectation des élèves : elle participe aussi à façonner les inégalités et la mixité sociale entre collèges. En comparant Paris, Lyon et Marseille, cette étude révèle comment la sectorisation et les choix des familles contribuent – différemment selon les contextes – à la ségrégation scolaire.
Dans le système éducatif français, l’affectation des élèves à une école ou un collège public dépend du lieu de résidence des parents. Cette sectorisation scolaire (appelée couramment « carte scolaire ») vise avant tout à éviter la sous ou suroccupation des établissements et à affecter les ressources éducatives (personnels de vie scolaire, enseignants, etc.). Mais au-delà de sa vocation principale, la carte scolaire est souvent questionnée quant à sa capacité à agir sur la composition sociale des établissements et donc sur la ségrégation scolaire, entendue comme l’inégale répartition des élèves de différentes origines sociales entre les établissements (...)
Dans les grandes villes, où les contrastes entre quartiers riches et populaires sont marqués, la sectorisation peut accentuer les inégalités. C’est pour cette raison que certains aménagements ont été tentés, comme l’assouplissement de la carte scolaire en 2007–2008 qui visait à offrir davantage de choix aux élèves des quartiers défavorisés, sans pour autant atteindre ses objectifs (...)
Mais la sectorisation n’explique pas à elle seule la ségrégation scolaire. Les parents ont la possibilité d’échapper à cette sectorisation en ayant recours à l’enseignement privé et, dans une moindre mesure, en obtenant une dérogation pour un autre établissement public. En effet, l’enseignement privé n’est pas soumis à la sectorisation, et considère la sélection de ses élèves comme une « liberté fondamentale », qu’aucun gouvernement n’a véritablement souhaité remettre en cause. Les grandes manifestations de 1984 contre la loi Savary qui proposait la création d’un « grand service public unifié et laïc de l’éducation nationale » représentent encore un épouvantail pour les responsables politiques. (...)
si la sectorisation ne garantit pas la mixité sociale à l’école, sa suppression ne la favorise pas non plus. À l’inverse, une sectorisation totalement rigide pourrait renforcer la ségrégation résidentielle, en incitant les familles à choisir leur lieu de résidence en fonction de l’offre scolaire et leurs ressources.
Notre objectif n’est pas de trancher en faveur d’un modèle, mais de comprendre les mécanismes contribuant ou limitant la ségrégation scolaire. L’originalité de notre démarche est, à partir des données du recensement et scolaires dans trois grandes métropoles (Paris, Lyon et Marseille), de prendre simultanément en compte trois niveaux d’analyse : le quartier, le secteur scolaire et le collège ; et de comparer leur niveau de ségrégation.
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Conclusion : entre sectorisation et choix scolaires, quels mécanismes produisent la ségrégation scolaire ?
À Paris, Lyon et Marseille, des configurations contrastées coexistent : environ un tiers des secteurs scolaires sont mixtes, et regroupent des quartiers hétérogènes, ce qui atténue la ségrégation observée à l’échelle des quartiers et participe de la mixité sociale à l’école. Toutefois une grande partie des secteurs restent homogènes et contigus. La sectorisation ne produit donc pas un effet uniforme et linéaire sur la ségrégation scolaire. Si son rôle apparaît limité dans certains espaces homogènes, elle réduirait cependant de moitié la ségrégation scolaire si les familles la respectaient. Mais nous avons vu que ses effets sont surtout limités par les possibilités d’éviter l’établissement de secteur, principalement via l’enseignement privé. (...)
si l’enseignement privé connaît, dans l’ensemble, une tendance à la sélectivité sociale croissante, son poids et sa contribution à la ségrégation scolaire varient fortement selon les contextes locaux (Oberti, 2023) — y compris entre bassins scolaires d’une même unité urbaine. Une étude sur les choix résidentiels et scolaires dans les espaces mixtes et populaires de la petite couronne parisienne (Lecuyer, 2024) montre que des familles de milieux populaires choisissent des établissements privés au recrutement plus mixte. À l’échelle locale, le départ de ces familles atténue partiellement les effets du contournement exercé par les classes moyennes et supérieures sur la composition sociale des établissements publics. Autrement dit, un « évitement » important du collège public de secteur n’affecte pas nécessairement sa composition sociale, car les départs ne sont pas uniquement le fait des familles favorisées. En revanche, ce constat local ne doit pas masquer les effets de ces choix à une échelle plus large. Parce que les familles ne s’orientent pas vers les mêmes établissements selon leur profil social, ces choix différenciés alimentent, à l’échelle du bassin scolaire et de la métropole, des dynamiques de ségrégation entre établissements y compris au sein du privé. Ce sont donc moins les types de choix en eux-mêmes que les groupes sociaux qui les exercent et les contextes dans lesquels ils se réalisent qui déterminent les effets observés. (...)
la ségrégation résidentielle dans les grandes villes limite considérablement la possibilité de faire de la sectorisation scolaire un instrument efficace de réduction de la ségrégation scolaire.
Non seulement cela n’a jamais été sa vocation principale, mais elle se heurte également à une grande diversité des configurations locales. Cela appelle en revanche une réflexion approfondie sur la sélectivité sociale croissante de l’enseignement privé, et donc sur ses modalités de recrutement et de financement.