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Mediapart
À l’université, les mobilisations propalestiniennes toujours sous surveillance
#israel #palestine #Hamas #Cisjordanie #Gaza #universite #repression
Article mis en ligne le 18 décembre 2024
dernière modification le 15 décembre 2024

Il y a plus d’un an, le milieu de la recherche, percuté par le conflit israélo-palestinien, se déchirait, rendant impossible toute discussion sereine sur le sujet. Depuis, même si les tensions se sont apaisées, les voix jugées propalestiniennes peinent à échapper aux amalgames et aux procès d’intention.

(...) le malaise reste palpable dans une large partie de la communauté scientifique française. La simple évocation des conflits au Proche-Orient crispe les collectifs de travail et le spectre de la chasse aux sorcières, poussant au silence toute voix jugée propalestinienne de resurgir.

Auprès de Mediapart, nombre d’universitaires spécialistes de la région déplorent une forme de « surveillance » à leur égard, se disent victimes de « procès d’intention » et témoignent d’un « climat de micro-censure ». « Il y a un contrôle exercé sur les chercheurs qui veulent parler et diffuser des savoirs sur la Palestine, dénonce un maître de conférences au département de science politique de l’université de Lille. (...)

Comme d’autres universitaires, le sociologue déplore les difficultés à organiser des colloques ou journées d’études sur la Palestine sans être accusé de militantisme. Il a en mémoire les longues semaines à attendre le feu vert de la bibliothèque universitaire pour organiser un atelier de lecture sur le thème « Penser la Palestine, penser la colonisation ». « On constate une volonté de dépolitiser les événements autour de la Palestine, où certains mots-clés, pourtant incontestables au regard des savoirs académiques, sont effacés pour éviter toute polémique », observe-t-il.

Un autre maître de conférences, enseignant dans une fac à l’est de la région parisienne, raconte qu’il a dû montrer « patte blanche » à la direction de son université pour planifier une journée d’études consacrée à la Palestine. (...)

La présidence de l’université a insisté pour prendre en charge la communication de l’évènement et a interdit d’accès les étudiants extérieurs à la faculté. Un membre de la direction a même suggéré d’enlever le mot Palestine de l’intitulé de la journée d’études. (...)

Dans bon nombre de cas, elles n’ont pas même été soumises au vote. À la place, des textes se contentant de déplorer « les victimes civiles » et appelant « au respect du droit international » ont été adoptés.

À Lille, Bordeaux et Sciences Po Paris notamment, des enseignant·es et étudiant·es ont réclamé la transparence sur les partenariats et un état des lieux exhaustif des conventions signées avec des établissements israéliens, sans l’obtenir pour l’instant. (...)

« Contrairement à ce que soutiennent les directions d’universités, le boycott peut être un levier pour les quelques voix critiques qui subsistent dans les universités israéliennes, insiste un professeur à Sciences Po Lille. L’isolement des institutions universitaires israéliennes ne peut que les encourager à rompre avec la politique colonialiste et génocidaire de leur État. »

Ainsi, si le mouvement propalestinien dans les facultés semble se focaliser sur la question du boycott, beaucoup en sont encore à réclamer le droit de militer sans risquer de sanctions disciplinaires. (...)

Dans l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, justement, les directions successives se sont employées, avec des méthodes opposées, à mettre le couvercle sur les mobilisations en faveur d’un cessez-le-feu à Gaza. (...)

À Sciences Po Paris, le dialogue impossible

Fin octobre, l’interdiction d’accès à l’établissement, levée depuis, prononcée contre quatre étudiant·es ayant participé à une action de soutien à Gaza lors d’un forum des entreprises, a aussi marqué les esprits et alimenté le sentiment des étudiant·es mobilisé·es d’être criminalisé·es. (...)

À l’occasion du colloque organisé en hommage au sociologue Bruno Latour, un collectif de scientifiques et d’artistes a protesté, dans une lettre ouverte rendue publique le 4 décembre, « contre le comportement de Sciences Po quant aux mobilisations autour de la dénonciation du génocide en cours à Gaza ». « Nous sentons qu’il y a quelque chose d’indigne à éviter de prendre position, sachant que Bruno n’aurait certainement pas eu cette prudence », écrivent-ils. (...)

« Vassy se trouve aujourd’hui en butte à des injonctions contradictoires, analyse un éminent membre de l’institution. Il est d’un côté sommé par les politiques de mettre fin à la crise en cours et de rassurer les investisseurs privés. » Et pour cause, la « fabrique des élites », comme est surnommée l’école, concentre beaucoup de l’attention politique et médiatique en raison de sa centralité, mais aussi de sa dimension internationale et de son recours au mécénat privé (...)

« Il faut aussi prendre en compte les affects des collègues, estime Véronique Bontemps, chargée de recherche au CNRS. Il y a une forme de déni chez certains qui ont longtemps cru à l’idée d’un État d’Israël progressiste, démocratique. » Le sociologue lillois cité plus haut a une autre explication : « Le peu d’explications qu’il me reste est très douloureux. Comment appeler cela autrement qu’une forme de racisme ordinaire, de conception de l’humanité à géométrie variable ? »

Lire aussi :

 Boycott des universités israéliennes : la prestigieuse EHESS rompt un « silence épais »

L’École des hautes études en sciences sociales a adopté, fin novembre, une motion appelant à cesser tout partenariat avec des universités israéliennes, après des mois de fortes tensions traversant la communauté étudiante et de recherche. Le fruit d’un délicat travail d’équilibre, conduit au nom de « l’insupportable » escalade meurtrière à Gaza. (...)

Si plusieurs établissements à l’étranger ont eux aussi déjà pris position sur ce thème (comme en Espagne, au Royaume-Uni, en Belgique ou au Canada), cette décision de l’EHESS, à l’échelle de la France, possède une forte portée symbolique. L’école est l’un des plus importants et prestigieux centres de recherche en sciences sociales du pays, et le vote s’est déroulé au sein de l’assemblée collégiale des enseignant·es-chercheur·es titulaires, une instance historique et centrale de l’EHESS chargée, entre autres, de débattre des grandes orientations stratégiques et scientifiques (...)

Depuis le début du conflit, pétitions et textes appelant simplement au cessez-le-feu n’avaient en effet jamais réussi à passer la barre de la simple mise à l’ordre du jour, malgré des centaines de signatures de soutien, issues de la communauté EHESS au sens large. (...)

« On est taxés désormais parfois en interne d’antisionistes militants, regrette Francis Chateauraynaud. C’est évidemment mensonger, et à l’image des procédés de discrédits à l’œuvre dans les arènes publiques actuelles. Mais on a des collègues israéliens qui demandent des sanctions contre leur propre pays ! Même le journal [israélien] Haaretz en est arrivé là ! Dans certains moments historiques, il faut sortir de ce genre de boucle du silence. » (...)

« Le boycott universitaire n’est pas un but en soi, mais l’argument qui consiste à dire que nous saperions ainsi la partie saine d’Israël ne marche plus. » Emmanuel Szurek, enseignant-chercheur à l’EHESS (...)

« Qu’une école comme la nôtre se plie à une loi du silence dictée par un gouvernement, c’est impensable. Faut-il courber l’échine en espérant que l’on ne sera pas sanctionné lors de demande de ressources ?, interroge Francis Chateauraynaud. Le simple fait de devoir se poser la question est inadmissible. »

Si la décision prise par ses collègues est symboliquement forte, l’objectif de l’anthropologue Chowra Makaremi, très marquée par ses travaux de recherche sur les actions et résistance des femmes iraniennes, est ainsi « d’ouvrir le débat sur la mise en œuvre de cette motion concrètement et qu’elle fasse boule de neige. Il s’agit de déchirer le discours hégémonique, qui tient par des relations de force, et non par des arguments et des faits. Maintenant, ça commence à bouger ».