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Une bourgade bretonne résiste à la construction de poulaillers géants
Article mis en ligne le 28 octobre 2019
dernière modification le 26 octobre 2019

D’un côté, deux jeunes, qui veulent construire deux poulaillers géants — capables de produire 500.000 poulets par an minimum — et la Région qui les soutient. De l’autre, une agricultrice en bio et d’autres habitants du village breton, qui ont lancé une fronde.

« Le poulailler a un gros système de ventilation et va cracher 5,7 tonnes d’ammoniac par an et des poussières fines chargées d’insecticides, de vermifuges, d’antibiotiques et de pesticides présent dans l’alimentation des poulets. Je suis sous le vent, mes ruches et mes terres vont tout prendre ». Voilà ce que dit Isabelle Villette, une paysanne qui cultive, depuis une quinzaine d’années, une ferme en élevage biologique en poules pondeuses, escargots et abeilles avec production, transformation et vente directe à la ferme. « Cela voudrait dire la disparition de ma ferme. Faire vivre un poulailler pareil pour faire mourir une ferme bio à côté, c’est quand même malheureux. »

Cette agricultrice n’est pas la seule à être remontée contre un projet de poulailler géant à Langoëlan, petite bourgade bretonne de 395 habitants : lancée en mai, sa pétition a depuis récolté 74.679 signatures.
La plateforme de compostage est à 40 mètres d’une zone Natura 2000, les poulaillers à 195 mètres d’une habitation (..)

La construction de ces poulaillers géants, estimée à 1,5 million d’euros, fait suite au plan volailles — « filière essentielle de l’activité économique bretonne » se plaît à rappeler le conseil régional dans ses communiqués – de la Région Bretagne lancé en 2018. Ce plan, appelé Yer Breizh, a un budget de 21 millions d’euros dont 5 consacrés à l’aide à la construction d’une centaine de poulaillers neufs, dont celui de Langoëlan. Le modèle est celui de l’agriculture industrielle bretonne : des animaux élevés hors-sol entassés — 27 poulets au m² pour le poulet standard — et des volumes énormes. À Scrignac, un élevage de 462.000 poulets par an sera aussi aidé, tandis qu’à Néant-sur-Yvel, en forêt de Brocéliande, un élevage de volailles de chair pourra passer, grâce au plan, de 40.000 à 192.500 emplacements.

En Bretagne, les poulaillers de ce type fonctionnent sur le modèle de l’« intégration » : le groupe intégrateur (ici le groupe Sanders) livre les poussins, dont il reste propriétaire, l’aliment, et le conseil technique. Les éleveurs sont propriétaires des bâtiments et prestataires de service pour élever les poulets.

L’intégration est un système dans lequel les exploitants assument seuls une importante prise de risques (technique, financier, sanitaire, climatique). L’intégrateur, lui, peut choisir de changer la production, de modifier les règles de rémunération, d’imposer des délais plus importants entre deux livraisons de poussins. La Confédération paysanne, syndicat agricole qui milite pour une agriculture à taille humaine, qualifie d’« esclavage moderne » ces contrats d’intégration. (...)

tous les feux semblent au vert pour la construction du poulailler géant. Même la commissaire-enquêtrice, qui a publié les conclusions de l’enquête publique le 5 septembre, a délivré un avis favorable. En effet, l’installation de ces poulaillers est soumise à une enquête publique qui a eu lieu, pour celui de Langoëlan, du 27 juin et le 29 juillet 2019. C’est l’un des derniers dossiers bretons soumis à une telle procédure puisque la Région Bretagne a été retenue avec les Hauts-de-France pour l’expérimentation de la suppression des enquêtes publiques pendant trois ans — elles seront remplacées par une consultation par voie électronique.

Cette enquête est l’occasion de découvrir la force du lobby agro-industriel breton. Sur les 295 observations déposées, les trois quarts s’opposent au projet et sont parfois peu argumentées. (...)

Du côté des défenseurs du projet, en revanche, les arguments ressemblent à un copier-coller de ceux du groupe Sanders. On y lit l’urgence de produire du poulet français avec un chiffre repris à l’envi : 45 % de la volaille consommée en France est importée.
« L’intérêt général n’est plus le développement économique mais de lutter contre le réchauffement climatique ! »

Qui signe ces observations ? Des éleveurs dépendant du groupe Sanders, et surtout des sociétés qui ont un intérêt économique à ce que le poulailler voit le jour (...)

La Chambre d’agriculture, dirigée majoritairement par la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) et ses sections locales, défend également le projet. (...)

Le poulailler géant de Langoëlan verra-t-il le jour ? Le préfet du Morbihan délivrera certainement une autorisation d’exploitation, car les préfets suivent en général les conclusions des enquêtes publiques. Les opposants, eux, ne baissent pas les bras. Le 15 septembre, ils étaient réunis à l’occasion d’une manifestation à Pontivy contre les fermes-usines et la bétonisation des terres agricoles, et ont affirmé à nouveau leur colère. S’il est délivré, ils sont prêts à contester l’arrêté préfectoral auprès du tribunal administratif « en espérant que le juge ait la fibre citoyenne », dit l’un d’eux.