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Libération
Un quart des oiseaux disparus en Europe en près de quarante ans : « L’agriculture intensive est la principale responsable »
#agriculture #oiseaux #biodiversite
Article mis en ligne le 17 mai 2023
dernière modification le 16 mai 2023

Pour la première fois, une vaste étude démontre la responsabilité des engrais et pesticides dans l’effondrement des populations d’oiseaux en Europe. Pour le chercheur Vincent Devictor, il est urgent de repenser notre mode de production alimentaire.

(...) Cette fois, le doute n’est plus permis. L’agriculture intensive est bel et bien la principale responsable de la sidérante disparition des oiseaux en Europe, dont les populations se sont effondrées de 25 % en près de 40 ans, voire de près de 60 % pour les espèces des milieux agricoles. C’est la principale conclusion de l’étude la plus vaste et la plus complète à ce jour sur les oiseaux en Europe, publiée ce lundi 15 mai dans la revue scientifique Pnas. Pour l’écologue et directeur de recherche au CNRS Vincent Devictor, coauteur de ce travail, il est urgent de repenser le mode de production alimentaire actuel. (...)

C’est LA grande synthèse sur la question pour l’ensemble de l’Europe, le fruit d’un effort collectif sans précédent. (...)

Les résultats sont effrayants : 20 millions d’oiseaux disparaissent en moyenne d’une année sur l’autre en Europe, depuis près de quarante ans…

Oui, c’est vertigineux. Cela représente 800 millions d’oiseaux en moins depuis 1980. Même pour un chercheur, c’est émouvant. Il y a certaines espèces dont je pensais que le déclin allait se ralentir. Hélas, ce n’est pas le cas. Les populations de moineaux domestiques, par exemple, ont chuté de 64 % ; il risque de devenir rare. Certains écosystèmes sont plus touchés que d’autres : alors que le nombre d’oiseaux forestiers a diminué de 18 % en quarante ans, ce chiffre monte à 28 % pour les oiseaux urbains comme les hirondelles et martinets et bondit à 57 % pour ceux des champs (...)

Certaines espèces sont-elles épargnées ?

Les seules qui s’en sortent relativement bien sont celles qui préfèrent la chaleur. (...)

Est-ce la première fois qu’une étude démontre la responsabilité dominante de l’évolution des pratiques agricoles dans cet effondrement ?

A cette échelle-là, oui. Elle montre l’aspect systémique, européen, de l’effet négatif et prépondérant de l’intensification des pratiques agricoles. Les populations d’oiseaux souffrent d’un cocktail de pressions, mais nos travaux concluent que l’effet néfaste dominant est l’augmentation de la quantité d’engrais et de pesticides par hectares. Celle-ci a entraîné le déclin de nombreux oiseaux, surtout celui des insectivores. Ce déclin est la signature d’une dégradation environnementale profonde. (...)

Les chats ont bon dos. Car la plupart des espèces d’oiseaux étudiés ici, qui ne vivent pas en milieux urbains ou suburbains, ne verront jamais un chat de leur vie. Et la population de félins domestiques n’a pas augmenté de 40 % en 40 ans…

Cette tragédie touche-t-elle particulièrement la France, cette grande puissance agricole ?

Elle se distingue comme mauvaise élève ; les chiffres sont assez terribles. En France, les populations d’oiseaux des champs ont chuté de 43 % en 40 ans. Et ce n’est qu’une moyenne (...)

L’Hexagone est incapable de maintenir la biodiversité dans son milieu agricole. Comme l’Allemagne, elle enregistre une forte hausse du volume des ventes de pesticides. Et le nombre de mégafermes de plus de 100 hectares a augmenté, chez nous, de 12 % depuis 2005, alors que celui des petites fermes a baissé de 24 %. Notre paysage agricole devient moins accueillant pour la biodiversité. Récemment, il a même été question de faire reculer les progrès enregistrés sur l’interdiction des pesticides les plus dangereux [les insecticides néonicotinoïdes, ndlr].

La disparition des oiseaux met-elle en péril l’ensemble des écosystèmes ?

Tout ce que fait un oiseau dans un écosystème est assez fabuleux. Il mange et se fait manger. Il transporte aussi beaucoup de matériaux, de graines. Plusieurs espèces sont migratrices. L’oiseau est un très beau générateur de liens. Et que serait un monde sans oiseaux ? Le chant d’un merle au printemps ou la rencontre d’un enfant avec un rouge-gorge en forêt surpasse toute relation d’utilité. Nous nous dirigeons droit vers le Printemps silencieux décrit par la biologiste américaine Rachel Carson dans son célèbre livre il y a soixante ans. (...)

s on peut se questionner sur l’utilisation de l’argent public et sur les grandes politiques européennes en la matière. Il va falloir revoir l’idéologie qui a gagné le monde agricole à la sortie de la Seconde guerre mondiale : le rendement à l’hectare, les grandes fermes, l’exportation, la compétitivité, etc. Les agriculteurs le savent depuis longtemps. Mais il y a un manque d’ambition très clair en matière de politique agricole. Le bio, par exemple, n’occupe que 8 % de la surface agricole en Europe. Il y a un problème de filière, avec des forces qui résistent, des lobbys. Le climat se tend aussi, avec l’apparition de sécheresses.

Produire autrement, c’est une question de survie du modèle agricole lui-même. Car en détruisant la biodiversité, un pesticide ne protège pas du tout la plante, il tue la possibilité de la cultiver. (...)

Beaucoup d’agriculteurs s’intéressent aux alternatives. Certains ont participé eux-mêmes au suivi de la biodiversité dans leurs champs, ont vu l’effet du changement des pratiques sur la présence de pollinisateurs. Il n’y a pas d’opposition à établir entre l’agriculture et l’écologie, au contraire. (...)